ll y a 70 ans, les GI’s de l’armée américaine libéraient Domfront qui paya par ses victimes et ses ruines une part importante du sacrifice imposé à la Normandie pour bousculer une longue occupation de quatre ans. Pour commémorer cet anniversaire, l’étude qui suit se propose d’exposer les événements qui frappèrent en plein cœur la cité médiévale. La première partie retrace l’histoire de la libération de la ville et dresse une liste complète des victimes civiles, tandis que la seconde partie analyse les bombardements des mois de mai et juin 1944. S’appuyant sur les témoignages de ceux qui vécurent ces événements et présentant des photographies pour la plupart inédites de même que des documents d’archives militaires américains dont certains, récemment déclassifiés, permettent d’apporter un éclairage nouveau sur ces terribles journées, cette étude entreprend ainsi de réexaminer un des grands pans de l’histoire de Domfront afin d’en affiner la compréhension et d’en préserver le souvenir.
- Première partie -
Une inoubliable page d’histoire
’un point de vue militaire, l’utilisation des bombardiers pour détruire le réseau ferroviaire français et les voies de communication a été déterminante car elle empêcha ou retarda l’acheminement sur le champ de bataille de Normandie d’unités de renfort allemandes. Sans elle, le débarquement et la bataille de Normandie auraient probablement été beaucoup plus coûteux et plus longs, et les forces allemandes auraient pu circuler plus librement et arriver sur le théâtre d’opérations en bien meilleur état. Pour les stratèges alliés, la cité médiévale de Domfront ne pouvait pas échapper à ce pilonnage des bombardiers. Carrefour important pour le mouvement des troupes ennemies et de son matériel, la ville se situe au croisement de deux axes majeurs de circulation : un axe nord/sud, Caen-Laval (RD 962, anciennement N 807), et l’autre est/ouest, Paris-Bretagne via Alençon (RD 976, anciennement N 162). La ligne ferroviaire de la ville, aujourd’hui abandonnée, desservait quant à elle les villes d’Alençon, de Caen, de Laval et d’Angers. Pour la bonne marche des opérations, il était donc impératif de détruire ce centre ferroviaire et ce nœud routier.
C’est ainsi qu’à partir du 28 mai 1944 et tout au long du mois de juin, les chasseurs-bombardiers Republic P-47 Thunderbolt, les bombardiers légers Douglas A-20 Havoc et les bombardiers moyens Martin B-26 Marauder appartenant à la 9th Air Force américaine commandée par le Lieutenant General Lewis Hyde Brereton furent lancés sur Domfront, pulvérisant la gare et le quartier l’avoisinant tout comme celui du centre-ville, semant la mort et la désolation parmi la population civile. 37 hommes, femmes et enfants furent tués, dont 27 lors du seul bombardement du mercredi 14 juin 1944, le plus meurtrier d’entre tous. Il y eut ainsi beaucoup de peine et de souffrance, mais, si déplorables que soient ces pertes en vies humaines, ce fut malheureusement le prix à payer pour la liberté, et les habitants, qui pourtant vécurent des situations souvent dramatiques, furent reconnaissants aux Alliés.
e 11 août 1944, la contre-offensive allemande lancée le 7 août depuis Mortain en direction d’Avranches pour couper la Third Army du Lieutenant General George S. Patton de ses arrières – « l’opération Lüttisch » – fut abandonnée et la 7. Armee du SS-Oberstgruppenführer und Generaloberst der Waffen-SS Paul Hausser commença à se replier en direction de l’est dans la nuit. Le 12 août au matin, Alençon fut libérée par la 2ème Division Blindée française du Général Philippe Leclerc de Hauteclocque. Le même jour, dans la soirée, les unités américaines suivantes reçurent l’ordre de s’emparer de Domfront le lendemain : les véhicules blindés de reconnaissance du 82nd Armored Reconnaissance Battalion (appartenant à la 2nd Armored Division « Hell on Wheels ») ; ceux du 125th Cavalry Reconnaissance Squadron (Mechanized) (relevant momentanément de la 30th Infantry Division « Old Hickory ») ; les chars M4 Sherman de la D Company du 67th Armored Regiment (2nd Arm. Div.) ; l’infanterie d’assaut de la E Company du 41st Armored Infantry Regiment (2nd Arm. Div.) ; les obusiers automoteurs de 105mm des HMC M7 du 65th Armored Field Artillery Battalion (rattaché temporairement à la 2nd Arm. Div.). Lancée à 16 heures le 13 août du village de Rouellé en direction de celui du Pont-d’Égrenne (respectivement à 5 km à l’ouest de Domfront et à 4 km au sud) de manière à se rabattre ensuite sur la ville en faisant face aux hauteurs sur lesquelles elle fut bâtie, mais ralentie par les champs de mines et les lance-roquettes ennemis, l’offensive fut suspendue le soir venu et ne reprit qu’aux premières lueurs du jour le 14 août.
Sur les deux cartes américaines au 1/500.000e ci-dessous établies par l’« Engineer Section » de l’état-major du 12th Army Group – le service chargé d’élaborer chaque jour à midi les cartes faisant état de la situation militaire pour le compte du groupe d’armée du Lieutenant General Omar N. Bradley – et couvrant la période des 13 et 14 août 1944, on constate le retrait du secteur de Domfront des 17. SS-Panzer-Division « Götz von Berlichingen », 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg », 1. SS-Panzer-Division « Leibstandarte Adolf Hitler » et 2. Panzer-Division, sous la pression conjuguée de la Hell on Wheels (« L’enfer sur roues », en fr.) du Major General Edward H. Brooks et de la Old Hickory (« Vieux noyer ») du Major General Leland S. Hobbs.
e nombreuses commémorations, publications et émissions de radio ou de télévision viennent de célébrer avec éclat le Débarquement de 1944. Ces célébrations sont indispensables pour éviter l’effacement de la mémoire. Mais s’il nous faut maintenir vivant le souvenir, nous devons veiller à ce que rien ne nous détourne du présent et de l’avenir. À quoi bon la répétition du « il ne faut pas oublier » si celle-ci n’a aucune incidence sur les barbaries qui se produisent aujourd’hui ? Si le passé doit être présent dans la mémoire, c’est pour en tirer des leçons et agir sur le présent. Ceux qui connaissent l’horreur du passé ont le devoir d’élever leur voix contre les horreurs qui se déroulent dans le monde actuellement. Si cette étude commémorant le 70e anniversaire de la libération de Domfront peut contribuer à la lutte contre les idéologies totalitaires, elle aura alors atteint son but : mettre le passé au service du présent pour combattre les barbaries d’aujourd’hui.
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- Seconde partie -
Les bombardements
de mai et juin 1944
Analyse et témoignages
ur les opérations alliées qui se déroulèrent durant les mois de mai et juin 1944 dans le ciel de Domfront, le Journal inédit de Sœur Jeanne [1], le récit de Gabriel Hubert, André Paillette et André Thimothée [2], ainsi que les mémoires de Germaine Renard [3] et d’André Rougeyron [4] nous offrent de précieuses informations. Mais ces monographies locales ne proposent qu’un aperçu des questions militaires et sont imprécises ou tout simplement inexactes lorsqu’il s’agit de l’identification des unités mobilisées et des moyens matériels engagés par les Alliés. Ce sont ces lacunes que cette étude vise à combler en présentant une analyse de chacun des principaux bombardements dont Domfront fut la cible au cours des mois de mai et juin 1944, bombardements qui marquèrent à jamais l’histoire de la cité médiévale. Cette analyse fut lente et difficile et suppose de la part du lecteur de la patience et du temps, ce qui devient rare au sein d’un âge de hâte qui veut tout de suite en avoir fini avec tout. Si elle découragera tous les genres d’ « hommes pressés », gageons qu’elle saura susciter l’intérêt des vrais passionnés et qu’elle leur donnera autant de plaisir à la lire que nous en avons eu à l’écrire.
’est le dimanche de Pentecôte 1944, dans le cadre du « Transportation Plan », le « plan des transports » mis au point par Solly Zuckerman, le conseiller scientifique de l’Air Marshal Sir Arthur Tedder (l’adjoint britannique de Dwight D. Eisenhower, commandant en chef des forces alliées lors de l’opération « Overlord »), visant à mettre à mal toute l’infrastructure de transports ferroviaires, routiers et aquatiques utilisée par les forces allemandes en Allemagne et dans tous les territoires occupés par elles, que Domfront devint pour la première fois la cible des avions américains de la 9th Air Force du Lieutenant General Lewis Hyde Brereton.
Reprenons les récits des témoins pour établir la première hypothèse. « Sur nos têtes relate Sœur Jeanne dans son Journal, tout près, passent le souffle de plusieurs avions descendus en piqué, moteurs presque arrêtés, et le bruit repart, les appareils prennent de la hauteur et ils piquent à nouveau ». À la même heure, Gisèle Paillette, une jeune domfrontaise, observa la scène depuis sa fenêtre de la rue des Fossés-Plisson : « Les avions alliés piquent deux à deux sur la gare, lâchent leurs bombes, et remontent, faisant le tour du clocher (n.d.a. de l’église Saint-Julien) en crachant des rafales de mitrailleuses ». Ces deux témoignages nous permettent de déduire que ce ne sont pas les bombardiers légers ou moyens du type Douglas A-20 Havoc ou Martin B-26 Marauder en service au sein du IX Bomber Command qui opérèrent alors, mais des chasseurs-bombardiers attaquant en piqué. Et, comme Sœur Jeanne s’avère tout à fait capable d’identifier ce qu’elle appelle dans son Journal les « avions fourchus » – les fameux Lockheed P-38 Lightning, l’un des deux types de chasseur-bombardier alors en service au sein des groupes de chasse-bombardement du IX Tactical Air Command, facilement reconnaissables à leur deux moteurs et à leur double queue – mais n’en dit rien ce jour-là, le type d’avions mobilisés ne laisse place qu’à peu de doute : il s’agit très certainement de monomoteurs Republic P-47 Thunderbolt, le second type de chasseur-bombardier en service au sein du IX Tactical Air Command commandé par le Major General Otto Weyland et relevant de la 9th Air Force.
En outre, sachant qu’une escadrille (« squadron » en angl.) de chasseurs-bombardiers de la 9th Air Force comptait théoriquement 25 avions, l’estimation du nombre d’appareils mobilisés proposée par MM. Hubert, Paillette et Thimothée nous semble la plus proche de la réalité. Par comparaison, ce premier raid fut d’ailleurs beaucoup moins violent que le second (celui du 2 juin 1944) qui, lui, mobilisa un « Group » de deux « squadrons » de P-47 Thunderbolt (soit 50 avions), comme le rapporte le compte-rendu (que nous présenterons par la suite) de l’Air Chief Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory, le commandant en chef des forces aériennes anglaises et américaines dites « tactiques ». Aussi est-ce, selon toute vraisemblance, un « squadron » équipé de 25 Republic P-47 Thunderbolt de l’un des groupes de chasse-bombardement du IX Tactical Air Command qui prit pour cible la gare de Domfront ce 28 mai 1944.
« Après 17 heures, constate Sœur Jeanne, deux avions argentés se contentaient de virevolter à différentes hauteurs – assez longuement il est vrai – avant de s’en retourner comme ils étaient venus ». Il s’agit là selon toute probabilité de deux chasseurs North American P-51 Mustang (au fuselage métallique à base d’alliages d’aluminium) transformés en appareil de reconnaissance photographique. C’est cette version du P-51 (le P-51F-6-C, équipé de deux appareils photographiques K-24) qui était utilisée au sein de la 9th Air Force par le 10th Photographic Reconnaissance Group pour établir le compte-rendu des opérations, en photographiant avec la précision remarquable des Kodak (dont l’un était installé sous le fuselage des appareils et l’autre, dans le flanc gauche) les cibles détruites, endommagées ou laissées intactes et donc à revisiter.
ne première attaque, à valeur égale, est toujours plus dramatique que les suivantes, la population ayant évacué les secteurs menacés ou appris à se ruer dans les abris. Or, dans le cas de Domfront, cela ne va pas se vérifier. Pourquoi ? Les Domfrontais étaient-ils inconscients de la menace des bombardements ? Certainement pas, mais ils firent preuve d’insouciance devant l’éventualité du danger aérien. Le dimanche 16 avril 1944, un avertissement fut radiodiffusé par le service français de la BBC, au nom du commandant suprême Dwight D. Eisenhower, prévenant les populations françaises et belges des attaques à venir contre le système ferroviaire : « Tous les points vitaux des chemins de fer en Belgique et en France vont être soumis à de lourdes attaques aériennes au cours des semaines qui suivront. Éloignez-vous du voisinage de ces objectifs ». Pendant les trois semaines qui suivirent, ce message sera transmis au moins quotidiennement et complété, entre autres, par des émissions de Schumann et par des causeries d’intervenants britanniques et français visant à expliquer plus longuement les raisons du « Transportation Plan ».
Certes, écouter clandestinement la BBC était strictement interdit et, depuis le 22 mars 1944, il fut ordonné par voie de presse à tous les habitants des départements du Calvados, de la Manche et de l’Orne de déposer leur poste de TSF dans les mairies avant le 31 mars. Mais comment comprendre que suite au bombardement du dimanche 28 mai se trouvaient à proximité immédiate de la gare des établissements hôteliers encore en activité ? Que des mesures d’évacuation ou de dispersion n’aient pas été prises par les autorités pour protéger la population ? Rappelons que ces mesures d’évacuation étaient essentiellement du ressort du préfet, tandis que les abris relevaient de la responsabilité des maires. Or, si par peur une majeure partie de la population fuit de sa propre initiative le Quartier Notre-Dame et que l’accès à certains lieux fut interdit du lundi au mercredi, le temps de répertorier et de neutraliser les projectiles n’ayant pas explosé, à partir du jeudi une certaine activité se remit peu à peu en place autour de la gare, dans le secteur des hôtels et des restaurants. Le 30 mai, les coupures faites à la ligne de Laval à Caen et de Domfront à Alençon ayant été réparées, les trains recommencèrent à circuler. Le 2 juin au matin, l’un d’eux entra en gare de Domfront au ralenti avec foule aux portières pour voir les effets du bombardement du dimanche précédent. Et en fin de journée, tandis que des enfants jouaient sur la place de la gare, les adultes vaquaient à leurs occupations, comme à l’ordinaire.
C’est à ce moment – à 18 heures 40 précisément – qu’un « Group » de deux escadrilles de Republic P-47 Thunderbolt surgit de nouveau au-dessus de la ville. Le travail d’interprétation des photographies de reconnaissance aérienne prises le 28 mai a dû révéler l’emplacement exact des réservoirs de carburant laissés intacts. Camouflés pour certains dans les jardins et les hangars des établissements du quartier des hôtels et des restaurants, ce secteur devait inévitablement devenir la cible de l’attaque de l’un des « squadrons », tandis que l’autre s’en prendrait une nouvelle fois aux installations ferroviaires, en visant non seulement les voies de chemins de fer, mais d’abord et avant tout le matériel roulant, les voies de garage, le triage, les bâtiments pouvant servir d’atelier de réparation, les systèmes d’aiguillage et les aiguilles elles-mêmes. Tout ce qui en fait demandait du temps pour être réparé et paralysait le trafic pour une plus longue durée.
Le rapport que nous citions précédemment, rédigé par Sir Trafford Leigh-Mallory et publié dans le Numéro 37838 du Supplement to The London Gazette of Tuesday, the 31st of December, 1946 sous le titre « Air operations by the allied expeditionary air force in N.W. Europe from November 15th, 1943 to September 30th, 1944 », fait état de cette mission du 2 juin 1944 à Domfront. Le maréchal de l’air précise page 23 : « On 2nd June, a force of 50 Thunderbolt of the United States Ninth Air Force attacked a fuel dump at Domfront. 54 x 500 lb incendiaries and 63 x 1000 lb. G.P. bombs were dropped and severe damage was caused to this dump ». Traduction : « Le 2 juin, une force de 50 Thunderbolt de la 9th Air Force attaqua un dépôt de carburant à Domfront. 54 bombes incendiaires de 250 kg (n.d.a. « 500 lb » en livre, l’unité de masse anglo-saxonne, abrégée « lb ») et 63 bombes explosives (« G [eneral] P [urpose] bombs » en angl.) de 500 kg (ou « 1000 lb ») furent larguées et de graves dégâts furent causés à ce dépôt ». Comme en témoignèrent MM. Hubert, Paillette et Thimothée dans leur récit consigné en janvier 1945 : « Ce bombardement, extrêmement violent, fait avec des projectiles incendiaires, dura environ 25 minutes. Les avions prenaient de la hauteur à tour de rôle en tournant au-dessus de la ville puis piquaient par groupes de quatre sur la gare en lâchant leurs bombes. Ils reprenaient ensuite de la hauteur en tirant des salves de mitrailleuses sur la ville ».
Le bilan de cette attaque fut tragique. Pour la première fois en effet, on dénombra des victimes parmi la population civile. Huit exactement. Parmi elles, Marguerite Angelot, parisienne séjournant dans l’un des hôtels de la gare ; Madeleine Bouvet et sa sœur Marthe Chevrier (née Bouvet), gérantes du Buffet de la Gare où elles furent tuées alors qu’elle revenaient chercher la caisse du restaurant qu’elles avaient oublié ; Robert Le Guennec, un cheminot habitant à Flers, tué sur la voie ferrée ; Lucien Poulain de Champsecret, alors garçon d’écurie, tué à l’Hôtel de France (les deux jambes arrachées, il décédera le 3 juin sur la route de l’hôpital de Flers) ; Jacques Renucci, un petit parisien âgé de 5 ans réfugié à Domfront, tué sur la place de la gare tandis qu’il jouait sous la surveillance de sa nourrice Mme Betton ; et Bernard Sigwald, agronome, tué dans le jardin du Sacré-Cœur où il était réfugié. Une huitième victime fut à déplorer ce même jour, dans un autre secteur de la ville de Domfront : Pierre Grare, 29 ans, parisien réfractaire au S.T.O., caché 3, rue du Chêne-Vert à Domfront avec sa femme, son beau-père et ses trois filles (qui ne survivront pas au raid aérien du 14 juin 1944), et qui fut déchiqueté par les éclats d’une bombe tombée juste devant l’entrée du cimetière de La Croix-des-Landes, à l’ouest de Domfront, à proximité immédiate d’un carrefour situé sur un axe important de circulation (RD 908). Mme Geneviève Clouard témoigne : « Dans la ville, c’est l’occupation allemande et dans le ciel les avions américains volent bas, tournent, assourdissants et menaçants. Mon père nous ordonne d’aller au plus vite, ma mère, ma sœur et moi, nous cacher dans le seul abri possible le plus proche : oui, c’est le caveau provisoire du cimetière, à 50 mètres peut-être. Pendant ce temps, mon père court à la recherche de ma petite sœur Elle joue, avec la voisine, de l’autre côté de la rue. À ce moment passe Monsieur Grare, réfractaire au S.T.O., réfugié dans notre ville avec sa famille. À peine la grille franchie par chacun des deux hommes mais en sens inverse, une bombe est larguée. Du caveau, nous la vîmes descendre, énorme, grise, écrasante, recouvrant nos cheveux de terre. Puis les avions s’éloignèrent. Ce fut le grand silence. Nous sortîmes de notre abri. Mon père arrivait, chacun se découvrant vivant, cependant mon père était livide, plus que bouleversé. Il nous explique : Monsieur Grare, à quelques pas de lui, avait été tué, déchiqueté par les éclats de la bombe » [5]. À ces huit victimes civiles s’ajoutèrent de nombreux blessés, dont une jeune femme qui fut extraite des décombres grièvement atteinte.
Le lendemain matin, samedi 3 juin 1944, la population se mit à fuir en masse vers la campagne. « Domfront se vide, Domfront s’en va » écrit Germaine Renard. Et bien lui en prit car, un peu après 15 heures, une troisième attaque de P-47 Thunderbolt, moins violente que celle de la veille, visa de nouveau les voies de chemin de fer, aucune bombe n’étant lâchée sur le Quartier Notre-Dame. Appartenant au 368th Fighter Group du 71th Fighter Wing, ces P-47 étaient rattachés au IX Air Tactical Command de la 9th Air Force. L’un des aviateurs ayant participé à ce raid sur Domfront, le First Lieutenant Clarence E. Staton, pilote au sein du 395th Fighter Squadron (l’une des trois escadrilles de chasse composant le 368th FG, avec les 396th et 397th FS), raconte ainsi dans ses mémoires qu’il revint à sa base AAF-404 de Chibolton (située au nord de Southampton, en Angleterre) avec des pièces de fixation de rails logées dans le nez de son fuselage et dans son moteur ! Une sortie de piqué assurément trop juste...
a nuit du 5 au 6 juin fut très agitée pour les Domfrontais. Au bruit incessant des avions alliés, dont certains rasaient les toits des habitations, s’ajoutèrent de violents mitraillages, terrorisant la population. Au lever du jour, à l’heure où les premières troupes alliées partaient à l’assaut des plages, l’aviation prit pour cible des convois allemands près du cimetière de Saint-Front ainsi qu’au Pont-de-Caen. À 8 heures 30, deux locomotives furent mitraillées à la gare, laquelle fit une nouvelle fois l’objet d’un sérieux bombardement – le quatrième – vers 13 heures, durant 20 minutes. Le Quartier Notre-Dame ayant été évacué, il ne provoqua aucune victime mais laboura de nouveau les voies ferrées et transforma en torches des wagons de farine. Toute la journée, montant en ligne, les renforts allemands traversèrent la ville. Le soir, vers 19 heures, se dirigeant vers le sud, de nombreuses escadrilles alliées (plus d’une centaine d’appareils, d’après Sœur Jeanne) traversèrent le ciel de la cité médiévale, faisant redouter le pire à ceux qui n’avaient pas évacué la ville. La nuit du 6 au 7 juin fut toutefois relativement tranquille.
Le lendemain, mercredi 7 juin, un nouveau bombardement – le cinquième – matraqua la gare et le Quartier Notre-Dame. Jusqu’alors relativement épargné, l’hôpital fut sévèrement touché et trois bâtiments (le pavillon des femmes, la maison de l’aumônier et une partie de l’ancien bâtiment de l’hôpital) furent anéantis, sans toutefois faire de victime, l’établissement ayant été fort heureusement évacué le 2 juin au soir.
u 8 au 12 juin 1944, Domfront connut une période relativement calme. Gênée dans ses opérations par de mauvaises conditions météorologiques (les 8, 9 et 11 juin, le plafond trop bas rendit impossible toute opération d’envergure sur la ville), l’aviation alliée ne se manifesta que très sporadiquement. Les ouvriers de l’Organisation Todt profitèrent de ce répit pour tenter de réparer les dégâts causés par les bombardements des jours précédents. « Le 8 juin au matin écrit André Rougeyron, une formation importante de travailleurs des entreprises Todt envahit la ville. Ils viennent pour réparer, ou plutôt tenter de réparer les voies ferrées ». Le 12 juin, malgré un « ciel très bleu », comme le rapporte Sœur Jeanne, rien ne se passa. Le 13, le temps se couvrit de nouveau mais, en début de soirée, cette couverture nuageuse se disloqua suffisamment sur la région de Domfront pour permettre la reprise des opérations. « Le temps se relève un peu ce soir écrit Sœur Jeanne. En sortant de table, on entend de nouveau les avions : environ une cinquantaine de chasseurs passe rapidement en direction d’Alençon ». Ces chasseurs, des P-47 Thunderbolt du 404th Fighter Group en mission de reconnaissance armée dans le secteur de Vire et de Domfront, avaient comme objectif la destruction des véhicules sur route et celle des convois ferroviaires. Un peu plus tard, vers 21 heures, ce furent des bombardiers moyens Martin B-26 Marauder qui, pour la première fois, entrèrent dans la danse. « Un roulement lourd emplit le ciel relate Sœur Jeanne, s’amplifie, se fait menaçant. Dans le contre-jour, j’aperçois six escadrilles de forteresses arrivant du sud-ouest, beaucoup plus bas que d’habitude. Elles sont si serrées et avancent avec une lenteur si régulière qu’on les dirait mues par un moteur unique ».
Bimoteurs à ne pas confondre avec les Boeing B-17 Flying Fortress, les fameux quadrimoteurs de la 8th Air Force qui n’intervinrent jamais dans le ciel de Domfront, ces B-26 s’approchant en formation serrée appartenaient au 387th Bombardment Group (Medium) commandé par le Colonel Thomas M. Seymour. Rattaché au 98th Combat Bombardment Wing du IX Bomber Command de la 9th Air Force, ce groupe de bombardement était basé en Angleterre sur le terrain AAF-162 de Chipping Ongar, dans l’Essex. Sa mission ce soir-là – la 171ème du « Group » – était de nouveau la destruction des dépôts de carburant disséminés dans le secteur de la gare. C’est donc une nouvelle fois au Quartier Notre-Dame que l’aviation américaine allait s’en prendre.
Arrivant du sud-ouest et volant à faible altitude en raison des conditions météorologiques, les appareils se présentèrent dans le ciel de Domfront disposés par « box ». Mise au point fin 1942 par Curtis E. LeMay, le légendaire General (alors Lieutenant Colonel) de la 8th Air Force, cette formation de combat consistait à réunir les avions par groupe de six (appelé « flight ») en les faisant voler par trois en formation en V à des altitudes décalées. Trois « flights » (comptant 18 avions) formaient un « box », les missions de bombardement rassemblant généralement deux ou trois « boxes ». Curtis LeMay estimait que ce genre de formation tactique procurait aux appareils le plus haut degré de protection contre les avions ennemis en les empêchant de s’installer au milieu des bombardiers et en regroupant la puissance de feu défensive. Elle optimisait par ailleurs le bombardement en assurant une plus grande concentration des bombes sur la cible et permettait de réaliser une économie significative de carburant, les avions suiveurs bénéficiant de l’effet d’aspiration généré par ceux de tête.
Cette attaque des Marauder était-elle vraiment peu justifiée ? La concession faite par André Rougeyron est importante et suffit à rendre raison de ce raid aérien car si le convoi allemand était présent dans la cour de ce garage ce soir-là, c’est effectivement parce qu’il abritait l’un des dépôts d’essence servant à ravitailler les forces allemandes en transit dans le secteur. Or, avant et pendant la bataille de Normandie, toute la stratégie aérienne alliée visa à paralyser ce ravitaillement, le pétrole constituant le véritable nerf de la guerre. Et d’ailleurs, si l’un des buts du « Transportation Plan » était de mettre à mal le système ferroviaire français (un but atteint puisque, d’après une étude faite après la libération par le bureau scientifique de l’Armée française, sur l’ouest de la France, le trafic ferroviaire déclina au mois de mai 1944, s’effondra à la fin de ce mois et n’était plus qu’à 10% de sa valeur initiale au 15 juin), ce n’était pas simplement pour retarder le plus possible le mouvement des renforts allemands, c’était aussi et surtout pour les obliger à utiliser davantage les routes et donc à consommer davantage d’essence. Cela au moment même où un autre plan mené parallèlement, le « plan du pétrole » mis au point par le Lieutenant General américain Carl A. Spaatz, commandant les US Strategic Air Forces en Europe, prévoyait la mise hors d’état de fonctionnement des raffineries et des usines de carburant synthétique du Reich par d’autres raids aériens. Une fois le système ferroviaire complètement désorganisé, c’était donc à l’approvisionnement en carburant des forces allemandes que les avions alliés devaient s’attaquer en priorité, le moindre dépôt, si modeste soit-il, devant impérativement être détruit. S’intégrant dans ce plan d’ensemble, le bombardement du 13 juin au soir, qui fut bref – « cela a duré à peine cinq minutes » note Sœur Jeanne dans son Journal –, se trouvait ainsi pleinement justifié.
e mercredi 14 juin 1944 fut le jour le plus noir que Domfront ait connu de toute la bataille de Normandie. C’est en effet à cette date qu’eut lieu le raid aérien le plus meurtrier de tous ceux que la cité endura, provoquant la mort de 27 personnes – des victimes civiles dont nous avons rappelé le souvenir dans la première partie de cette étude – et infligeant à la ville des dégâts matériels considérables. Les récits vécus de Germaine Renard et d’André Rougeyron ainsi que le Journal de Sœur Jeanne ont parfaitement restitué l’atmosphère de terreur et le spectacle de désolation que provoqua ce bombardement et il n’entre pas dans nos intentions d’en proposer ici un résumé. Nous préférons nous pencher sur un document d’archives militaires américain récemment déclassifié selon l’« Executive Order 13526 - Classified National Security Information » signé par Barack Obama le 29 décembre 2009, lequel nous permet d’apporter un éclairage nouveau sur cette tragique journée du 14 juin. Nous ayant été aimablement communiqué par Stéphane Robine (des Archives départementales de la Manche) et son réseau de connaissances en Angleterre et aux U.S.A., ce document d’archive est un extrait d’un rapport d’activité de la 9th Air Force conservé à Montgomery (Alabama) par l’Air Force Historical Research Agency (dépositaire des archives historiques de l’U.S. Air Force) présentant les missions effectuées par certains de ses groupes de bombardement le 14 juin 1944 dans le ciel normand : celles des bombardiers moyens Marauder du 387th BG sur Ambrières-les-Vallées, des bombardiers légers Havoc du 410th BG sur Vire et des Havoc du 409th BG sur Flers.
Declassified IAW, Executive Order 13526
(Série CO-O70. Page D-2)
(AFHRA)
Declassified IAW, Executive Order 13526
(Série CO-O70. Page E-2)
(AFHRA)
38 bombardiers légers A-20 Havoc du 409th BG basé en Angleterre sur le terrain AAF-165 de Little Walden, dans l’Essex, et formé des 640th, 641st, 642th et 643rd Bombardment Squadrons, furent mobilisés pour cette mission du 14 juin sur Flers. Flers où de nouveaux bombardements se produisirent dans la nuit du 7 au 8 juin et dans celle du 11 au 12. Des immeubles furent détruits et certains quartiers, épargnés jusqu’alors, subirent le sort commun. Les 13 et 14 juin dans la journée, les attaques aériennes reprirent, pilonnant la Place Centrale (ou Place des « Cinq Becs », actuelle Place du Général de Gaulle), le principal nœud routier situé au cœur même de la cité. Matériellement désastreux, ces bombardements ne provoquèrent qu’un seul mort, un de trop, la population ayant évacué la ville. Pour la seconde fois le 14 juin, Flers allait donc subir l’assaut des bombardiers venant parachever leur œuvre destructrice. Mais une erreur en décida autrement. Examinons attentivement la section du rapport d’activité de la 9th Air Force consacrée à la mission du 409th BG devant s’opérer sur Flers.
Pourquoi d’ailleurs ce rapport a-t-il été déclassifié si tardivement ? Serait-ce pour garder secrète l’« erreur » le plus longtemps possible ? On sait combien la moralité des bombardements alliés sur les populations civiles a suscité de vifs débats et comment de nos jours, selon la législation en vigueur, à savoir les conventions de Genève de 1949, et tout particulièrement le premier des deux protocoles additionnels à celles-ci, signés en 1977, ainsi que le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, signé en 1998, ils seraient tenus pour des « crimes de guerre ». Sans entrer dans de tels débats qui débordent le cadre de cette étude, nous constaterons seulement que si, comme nous l’avons remarqué précédemment, le volet ferroviaire du « Transportation Plan » a atteint ses objectifs en paralysant le système ferroviaire français, jouant ainsi un rôle bien réel dans la réussite de l’opération « Overlord », le bilan du volet routier est en revanche plus nuancé. On peut même affirmer qu’il n’a pas atteint ses objectifs, car si les bombardements ont bien rempli de gravats les rues des villes, ils ont eu peu d’effets sur les mouvements ennemis, des détours ayant été facilement établis. Ainsi, après le bombardement de Domfront le 14 juin, pour traverser la ville d’ouest en est (en venant de Mortain, par exemple), les convois allemands passaient par la rue Montgomery, la Place de la Roirie, la rue Clément Bigot, celle de la Poterne et celle du Champ de Foire, avant de rejoindre la route de La Ferté-Macé ou celle d’Alençon. L’allongement ne faisait qu’une centaine de mètres. Et vers le 20 juillet, les ouvriers de l’Organisation Todt ayant déblayé les décombres de la rue de la République et de celle du Maréchal-Foch, les convois recommencèrent à circuler normalement, n’empruntant plus l’itinéraire indiqué ci-dessus. Faut-il en conclure, comme MM. Hubert, Paillette et Thimothée dans leur récit, que le bombardement du 14 juin « ne servit absolument à rien sauf à anéantir toute une partie de la ville » ? Sans doute eurent-ils été plus amers encore s’ils avaient su qu’il était le résultat d’une erreur de navigation.
Si cette erreur commise le 14 juin 1944 vient assurément du bombardier-navigateur de l’avion-leader du Box I, tout le problème reste cependant de savoir ce qu’a bien pu être la cause ayant entraîné une telle méprise. Si ce ne sont pas les conditions météorologiques, sont-ce les coordonnées géographiques de Flers en degrés-minutes-secondes calculées dans le système géodésique WGS 84 qui ont été mal relevées ? Le rapport ne l’explique pas, malheureusement. Il est en revanche très précis sur l’exécution de l’opération et les résultats obtenus. Reprenons-en méthodiquement la lecture.
Au cours de cette mission du 409th BG, qui regroupa sans doute des avions appartenant à chacune des quatre escadrilles formant le groupe de bombardement, deux appareils (« aircraft » en angl., abrégé « a/c ») ne bombardèrent pas (« 2 a/c failed to bomb »), un appareil connaissant une défaillance mécanique (« a mechanical failure »), tandis qu’un autre, l’un des avions de réserve (« spare », en angl.), rentra rapidement à la base (« 1, spare, early return »). Selon une procédure standard en effet, lors d’une mission mobilisant deux « boxes » de A-20 Havoc, deux avions se tenaient en réserve. Décollant avec la formation et l’accompagnant jusqu’à la Manche, ils étaient prêts à remplacer un appareil rencontrant un problème et rentraient à la base si tel n’était pas le cas. Un seul avion nécessitant d’être remplacé, le second retourna donc rapidement à la base. Parvenus au-dessus du sol normand, deux bombardiers légers furent endommagés par des tirs de la « flak » (la défense anti-aérienne allemande), sans connaître toutefois de pertes ou de victimes (« no losses, casualties »). Trois « FW-190 » et un « ME-109 » (les redoutables Focke-Wulf Fw 190 et Messerschmitt Bf 109 de la chasse allemande) furent aperçus dans le secteur de Cabourg. Le ME-109 s’approcha à environ 550 mètres (« 600 yards ») mais renonça à engager le combat (« failing to press attack »), un Havoc tirant une cinquantaine de balles à l’approche de l’avion ennemi (« enemy aircraft », abrégé « e/a ») sans que le résultat puisse être observé. Il n’y eut aucune victoire revendiquée (« no claims ») des deux côtés.
Le bombardement s’effectua à une altitude de « 12 000-12 350 » pieds (soit entre 3657 et 3764 mètres d’altitude). Équipé du viseur Estoppey D-8 fabriqué par National Cash Register Inc., la version J du A-20 pouvait atteindre des objectifs bien précis depuis une altitude moyenne. Précisons qu’il existait en effet deux types de Havoc en service au sein du 409th BG : le A-20G et le A-20J. À la différence du A-20G qui possédait un nez en dur dans lequel étaient montées quatre mitrailleuses Browning 12,7 mm de calibre 50, le A-20J avait un nez en plexiglas abritant le poste du bombardier-navigateur équipé du viseur D-8. Cet avion était utilisé par les leaders de chaque « flight », les A-20G devant larguer leurs projectiles quand ils voyaient le leader déverser les siennes. Tandis que l’A-20G comptait trois membres d’équipage (un pilote, un mitrailleur de tourelle et un mitrailleur arrière), l’A-20J en comptait donc un supplémentaire : le bombardier-navigateur dont le rôle était de préparer le plan de vol, d’assurer la navigation pendant la mission et, après avoir acquis la cible en approche finale, de donner l’ordre au pilote de déclencher le largage au moment voulu.
Le rapport fait état « box » par « box » des conditions dans lesquelles ce bombardement s’est déroulé et évalue ses performances.
S’agissant du Box I, les conditions météorologiques rencontrées lors du bombardement sont relevées comme ayant été « dégueulasses » (« Gross ») et le résultat du bombardement est estimé comme ayant été correct (« Fair »). Le secteur visé est présenté comme étant la partie ouest d’une zone de stationnement dans le secteur est de Domfront (« the W part of a park area in E section of Domfront »). Cette zone de stationnement est celle située à proximité immédiate de la rue du Pressoir, à une centaine de mètres à l’est de l’objectif visé par les Havoc du Box I : l’intersection de la rue du Maréchal-Joffre (RD 908) et celle du Maréchal-Foch (RD 976). La concentration des bombes est évaluée comme ayant été bonne (« Good concentration »), mais elles furent centrées au niveau de la rue de la République et du Grand Carrefour, soit à environ 260 mètres à l’ouest du point principal d’impact voulu à Domfront, située bien approximativement à 23 km au sud-sud-ouest de la cible initiale (« centered 850 feet West of the desired M.P.I. [Main Point of Impact] at Domfront, 14,5 miles South-Southwest of primary »). Des coups au but sont relevés sur la route secondaire nord-sud (l’actuelle RD 962 menant à Flers) et la route principale est-ouest reliant Paris via Alençon à la Bretagne (RD 976), trois cratères (« three craters ») étant constatés sur la route principale et un sur la route secondaire. De nombreux coups sont également constatés sur les immeubles attenants à l’intersection (« numerous strikes on buildings adjacent to intersection »).
Concernant le Box II, les conditions météorologiques rencontrées lors du bombardement sont naturellement relevées comme ayant été les mêmes et le résultat du bombardement est également estimé comme ayant été correct. Le secteur visé était un espace carré ouvert près du centre de Domfront (« an open square near center of Domfront »). Ce secteur est celui du Carrefour du Pissot, nœud routier situé au nord de la commune. La concentration des bombes est également évaluée comme ayant été bonne, mais elles furent centrées à environ 244 mètres au nord du point principal d’impact voulu (« centered 800 feet North of desired M.P.I. »). Des coups au but sont considérés comme possibles (« possible direct hits ») sur la route principale de la ville et sur la route secondaire au nord. La plupart des coups sont relevés comme ayant frappés les champs au nord, touchant de petites habitations (« most strikes in fields to North, covering small buildings »).
Le bombardement débuta vers 20 heures. Si les projectiles furent bien largués dans le périmètre des nœuds routiers visés, leur degré de précision fut toutefois relatif, l’erreur par rapport aux points prit pour cible étant de l’ordre de 250 mètres. Un niveau de précision jugé cependant correct par les militaires. L’intersection visée par le Box I se situant au cœur de la cité, son bombardement – qui dura 7 minutes, d’après le témoignage de Germaine Renard – ne pouvait que heurter le dense tissu urbain qui l’entourait, si bien qu’on ne peut pas le qualifier de bavure ou d’accident mais d’élément structurel d’un tel bombardement effectué à une altitude moyenne, laquelle entraîne fatalement une dispersion des projectiles. On peut néanmoins reprocher aux bombardiers de s’être placé à une altitude trop élevée au vu de l’absence de défense anti-aérienne. Arriver sur la cible à une altitude plus basse (comme ce fut le cas le 15 juin, nous le verrons, lorsque les Havoc du 416th BG attaquèrent le secteur du Quartier Notre-Dame entre 2500 et 3000 pieds, soit entre 762 et 914 mètres d’altitude) eut sans doute permis au bombardement d’être plus efficace. Si maintenant l’objectif (inavoué) de ce genre de bombardement était moins de faire des cratères sur les voies de circulation que de provoquer des monceaux de ruines qui obstruent ce qui avait été une rue, ce qui serait faire bien peu de cas de la vie humaine, alors on peut dire qu’il a atteint son but.
En effet, après le passage des deux formations de bombardiers, le Grand Carrefour, la rue des Barbacanes, le début de la Grande Rue, la rue de la République, le début de la rue des Fossés-Plisson, presque toute la rue du Maréchal-Foch jusqu’à l’intersection de la route de La Ferté-Macé et de celle d’Alençon (RD 908/RD 976), la rue d’Enfer, une bonne partie de la rue du Chêne-Vert et l’entrée du Champ de Foire ne formaient plus qu’un amas de ruines. Sur le versant nord de la ville, à proximité du carrefour du Pissot, quelques maisons situées Place Saint-Julien, rue Clément-Bigot, ruelle des Buttes, ainsi que le nouveau presbytère furent détruits, d’autres devant l’être par l’incendie quelques heures plus tard. Toute la nuit, on retira les morts et les blessés qui gisaient sous les décombres. On les conduisit à un poste de secours établi à la mairie par M. Belin, premier adjoint, et M. le Docteur Lévesque. Après les premiers soins, on emmena les blessés vers le manoir de la Guyardière où l’hôpital de Domfront avait été transféré à la suite des bombardements successifs du quartier de la gare. L’affolement était tel que les Domfrontais n’osaient plus circuler dans la ville. Les victimes furent enterrées – du moins celles que l’on retrouva à ce moment – dans divers jardins de la ville, notamment dans celui de l’ancien presbytère, à la Juvinière, et dans celui du docteur Rémon-Beauvais, personne ne se risquant à les conduire au cimetière de La-Croix-des-Landes.
Des images de ce bombardement du mercredi 14 juin 1944, si tragique pour tant de familles, ont été fixées sur la pellicule. Nous en avons déjà présenté dans la première partie de cette étude. Nous en proposons d’autres ci-dessous regroupées secteur par secteur, sous la forme d’un album-souvenir, en hommage aux 27 personnes qui trouvèrent la mort lors de ce raid aérien ainsi qu’à ceux qui souffrirent dans leur cœur en perdant des êtres chers. Pour mesurer l’importance des destructions infligées à la ville, nous présentons en contrepoint un certain nombre de photographies de Domfront prises avant-guerre. Illustrant pour la plupart des cartes postales anciennes, ces clichés s’avèrent précieux pour se représenter la configuration des lieux avant qu’ils ne soient frappés de plein fouet par le bombardement.
a nuit de 14 au 15 juin fut de nouveau très agitée du fait du bruit incessant des formations aériennes survolant la ville. Les foyers d’incendie déclenchés par le bombardement du 14 juin se développèrent encore de manière incontrôlable le 15. Dans la haute ville, le brasier provoqué par l’explosion d’une bombe tombée Place Saint-Julien sur la maison du marchand de cycles Hamon se propagea ainsi à deux immeubles attenants (les habitations de l’huissier Letrou, du quincaillier Paris et du tabac-chaussures Mouton devenant la proie des flammes), tandis que dans la basse-ville un feu violent et destructeur finissait de ravager les maisons situées entre le Grand Carrefour et la rue du Chêne-Vert (le Bazar Doisneau-Belloche brûlant entièrement avec ses annexes, notamment). À 16 heures, de puissantes escadrilles traversèrent le ciel de la cité, laissant craindre un nouveau bombardement du centre-ville. Mais rien ne se passa. Seules quelques attaques de chasseurs-bombardiers se produisirent sur la route d’Alençon et celle de Mayenne.
Sœur Jeanne, qui comme Germaine Renard avait fuit Domfront après le bombardement du 14 pour se réfugier au manoir de la Guyardière, revint le 15 au matin au pensionnat de l’Ange Gardien pour y sauver du pillage et d’éventuels incendies ce qui pouvait l’être. En fin d’après-midi, elle quitta de nouveau Domfront en quête d’un gîte pour la nuit. Aussi ne trouve-t-on dans son Journal, comme dans le récit de Germaine Renard, aucune mention du bombardement qui débuta à 18h19/18h20 exactement le 15 juin 1944 et visa une nouvelle fois le Quartier Notre-Dame. Seul André Rougeyron en fait état, mais de manière lapidaire. « Le 15 écrit-il, vers 18h30, nouvelle attaque de la gare par des bombardiers lourds : l’hôpital est atteint et la maison de Mme Lechippey détruite par le feu, malgré les efforts des pompiers qui passeront la nuit sur place ». Bien qu’offrant un témoignage intéressant sur ce qui se déroula alors, celui-ci demeure toutefois imprécis, voire inexact, comme on va pouvoir s’en rendre compte en procédant à un examen approfondi de cette nouvelle opération lancée sur Domfront par les forces aériennes alliées.
Cet examen se base sur l’étude de documents d’archives militaires conservés par l’Air Force Historical Research Agency et réunis par les soins de Waynes G. Sayles, archiviste du 416th Bomb Group Archive, une association établie à Gainesville (Missouri) dont la mission est d’honorer la mémoire de ceux qui servirent au sein de cette unité. Il s’appuie d’autre part sur le témoignage de l’un des acteurs de ce bombardement, le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr., 91 ans, dont nous avons retrouvé la trace et qui a accepté de nous faire partager ses souvenirs de la mission qu’il a mené aux commandes de son appareil dans le ciel de la cité médiévale ce jour-là.
- 6 avions du 668th Bombardment Squadron (code de fuselage : 5H)
- 7 avions du 669th Bombardment Squadron (code de fuselage : 2A)
- 13 avions du 670th Bombardment Squadron (code de fuselage : F6)
- 12 avions du 671st Bombardment Squadron (code de fuselage : 5C)
rédigé par le Major Clarence S. Towles Jr., Operations Officer du 97th CBW
et transmis au 416th Bombardment Group (L) du Colonel Harold L. Mace.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
![]() L’aire de stationnement des 668th et 671st Bombardment Squadrons sur la base AAF-170 de Wethersfield. « Park wood », l’aire de bivouac du 668th BS, est situé en haut, à droite. (Coll. U.S. NARA). |
![]() Tour de contrôle de la base aérienne AAF-170 de Wethersfield. (Coll. F.J Cachat). |
mission n° 78 (soirée du jeudi 15 juin 1944) Domfront
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Staff Weather Officer du 416th BG
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
![]() « Spare » du Box I, le 1st Lt. Hilary P. Cole revint se poser à la base aérienne de Wethersfield à 17h46. (Coll. Wayne E. Downing). |
établi par le Captain William A. McDonald
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Quatre bombes de l’A-20G (43-9493, 5C-V) du 1st Lt. Robert H. Smith (Box I, Flight III, position 3) tombèrent lorsque les portes de la soute à bombes s’ouvrirent, le relais électrique de largage faisant contact à cause des vibrations et d’un ajustement insuffisant de l’interrupteur (« Release relay making contact due to vibration and insufficient clearance of breaker points »).
L’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (Box I, Flight III, position 4) revint à la base avec une bombe, la boucle du câble auquel l’engin explosif était suspendu provoquant une déconnexion dans le circuit de largage en se coinçant dans le relais électrique qui commande le crochet du porte-bombe (« Arming wire loop caught in arming wire retainer holding breaker points apart, leaving an opening in release circuit »).
Une bombe de l’A-20G (43-9224, F6-E) baptisé « Miss Laid » du 1st Lt. Leonard R. McBride (Box II, Flight I, position 2) ne fut pas larguée à cause d’un mécanisme défaillant, un solénoïde de largage ayant brûlé (« Release solenoid burn out »).
L’A-20G (43-9717, 5C-N) du 1st Lt. Earl L. Hayter (Box II, Flight II, position 3) revint à la base avec une bombe, le mécanisme de largage défaillant causant une sortie retardée (« Faulty release mechanism causing a delayed released »).
L’A-20G (43-9189, 2A-P1) « Greetings from Winsome Winnie » du 1st Lt. Jack F. Smith (Box II, Flight II, position 5) revint à la base avec une bombe, un solénoïde de largage ayant également brûlé, mais la cause du dysfonctionnement était encore indéterminée lorsque le rapport fut rédigé (« Release solenoid burn out. Complete cause yet undetermined »).
L’A-20G (43-9961, 2A-E1) du 1st Lt. Hiram B. Clark (Box II, Flight II, position 6) revint à la base avec une bombe, une connexion électrique ayant été mal installée (« Cannon plug improperly installed »).
416th Bombardment Group (L)
mission n° 78
(soirée du jeudi 15 juin 1944)
Domfront
(page 1)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
(page 2)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
« La formation était composée de 2 boxes de 18 avions chacun, bombardant par flight de six. La formation décolla de sa base à 16h34. Heure sur la cible : 18h19-18h20. Le flight 1 du box 1 largua à 2500 pieds un total de 26 bombes sur la zone cible avec d’excellents résultats. Le flight 2 du box 1 largua à 2500 pieds un total de 30 bombes sur la zone cible avec de bons résultats. Le flight 3 du box 1 largua à 2500 pieds un total de 25 bombes sur la zone cible avec d’excellents résultats. Le flight 1 du box 2 largua à 3000 pieds un total de 27 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. Le flight 2 du box 2 largua à 3000 pieds un total de 25 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. Le flight 3 du box 2 largua à 2500 pieds un total de 32 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. La visibilité était de 8 miles avec une couverture nuageuse de 1 sur 10. Le tir anti-aérien a été très imprécis 8 miles à l’est de Caen. Un appareil recevant des dommages de catégorie A. Aucun tir anti-aérien subi au-dessus de la zone cible. Aucun avion rencontré. Les avions atterrirent à la base à 20h01 ».
Box I, Flight I
(26 bombes, mention « excellent »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Box I, Flight II
(30 bombes, mention « bon »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Box I, Flight III
(25 bombes, mention « excellent »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Box II, Flight I
(27 bombes, mention « correct »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Box II, Flight II
(25 bombes, mention « correct »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Box II, Flight III
(32 bombes, mention « correct »)
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
- 1/ la méthode de visée employée (le viseur D.8 ayant été utilisé avec des données prédéfinies correctement enregistrées) ;
- 2/ l’approche de la cible suivie par les bombardiers, mentionnée en degré magnétique. (Venant du nord-ouest et passant à l’est de Mortain, la formation amorça un virage à gauche au-dessus de Saint-Georges-de-Rouelley, et, au sud-est de Saint-Gilles-des-Marais, mit le cap plein nord en direction du Quartier Notre-Dame qu’elle atteignit venant du sud, soleil dans le dos, protection supplémentaire pour aborder la cible dans de meilleures conditions et surprendre d’éventuels artilleurs de DCA, tout éblouis).
Ce rapport précise également :
- 3/ si le système de visée utilisant le mercure comme gyrostabilisateur (pour corriger l’inclinaison des avions) a été utilisé (ce qui ne fut pas le cas) ;
- 4/ si les avions du « flight » ont bien suivi le bombardier-navigateur lorsque ce dernier a déclenché le bombardement ; si les données prédéfinies sur le viseur D-8 ont été utilisées et si le point principal d’impact a bien été la zone cible (ce qui fut le cas à chaque fois).
Il présente en outre :
- 5/ le nom et le grade du pilote leader du « flight » ;
- 6/ le nom et le grade de son bombardier-navigateur.
Il signale aussi :
- 7/ qu’aucun intervallomètre (servant à programmer des déclenchements photo à fréquence régulière) n’a été utilisé.
Il fournit des informations :
- 8/ sur la vitesse du vent en altitude et au sol (en miles par heure) et sur l’altitude de largage des bombes (en pieds) ;
- 9/ sur le temps en seconde que dura le bombardement ;
- 10/ sur le nombre et le type de bombes chargées par appareil et leur vitesse de chute (un astérisque renvoyant vers une note en bas de page précisant le nombre d’avions embarquant six bombes au lieu des quatre usuelles) ;
- 11/ sur le nombre exact de bombes larguées par le « flight ».
Il permet de savoir :
- 12/ a) que les conditions météorologiques ou la visibilité n’ont pas affecté l’identification de la cible et son bombardement ;
- b) qu’aucune autre difficulté n’a été rencontrée ;
- c) que la défense anti-aérienne ennemie n’a pas gêné le bombardement ;
- d) qu’aucun appareil ennemi non plus.
Il demande enfin :
- e) que soit exposées toutes les difficultés rencontrées lors du bombardement. (Réponse : il n’y en eut aucune, « none » en angl.) ;
- f) que soit mentionnés les dysfonctionnements, les erreurs du personnel ou tout autre facteur ayant affecté le bombardement. (Réponse : « none », étonnamment d’ailleurs puisque nous venons de présenter un rapport faisant état des problèmes techniques – sans doute jugés trop peu importants pour être relevés – qui ont tout de même bien été rencontrés lors de la mission) ;
- g) que soit évalué le résultat du bombardement en précisant si la cible visée fut la bonne (ce qui fut le cas à chaque fois) et en classant le résultat du bombardement de chaque « flight » par catégorie : de « mauvais/manqué » (« Bad/Miss », en angl.) à « bon » (« Good »), la mention « Excellent », qui n’existait pas dans le préimprimé, ayant été ajoutée à deux reprises à la machine à écrire (pour le Flight I et et le Flight II du Box I).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Un examen attentif de notre rapport et de la « Loading List » de la mission n° 78 peut permettre de résoudre cette énigme. On constate en effet que, lors de la mission, un autre aviateur dénommé lui aussi Smith était également présent : le 1st Lt. Jack F. Smith, pilotant l’A-20G 43-9189 (2A-P) et occupant la position 5 du Flight II du Box II. Or, dans notre rapport, l’entrée « J.F. Smith » est justement accompagnée d’un « H », ce qui indique que son avion était muni d’un équipement photographique portatif. R.H. Smith, J.F. Smith – cette homonymie n’a-t-elle pas prêté à confusion et induit en erreur l’officier en charge de la rédaction de ce rapport en le conduisant à attribuer à l’avion de J.F. Smith un appareil photographique embarqué en fait dans celui de R.H. Smith ? Cette supposition rend assurément plus hypothétique l’identification que nous proposons de l’appareil depuis lequel les troisième et quatrième photographies aériennes ont été réalisées, mais elle est la seule qui puisse permettre de rendre compte logiquement de leur cadrage.
Ces vues aériennes ont le mérite de montrer la zone précise ciblée par les projectiles du Box I : non pas les installations ferroviaires elles-mêmes, mais le secteur contigu aux voies ferrées, situé au sud de la gare, la première photographie aérienne donnant à voir un rare aperçu du dégagement initial d’énergie d’une 500 lb General Purpose Bomb explosant à quelques mètres de la distillerie de Domfront.
Communications Officer du 416th BG
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
Pas de victime civile à déplorer, aucune perte humaine et matérielle enregistrée par l’U.S. Air Force (seul un avion encaissant des impacts sans importance), des dysfonctionnements dans le largage des bombes certes mais des résultats obtenus excellents pour certains « flights », les derniers dépôts de carburant enfin détruits – nous pouvons affirmer que cette mission n° 78 des Havoc du 416th Bombardment Group (L) sur Domfront le jeudi 15 juin 1944 fut un grand succès et nous nous devons de rendre ici un hommage respectueux au courage admirable des 120 membres d’équipage qui réussirent à l’accomplir au péril de leur vie.

Naît à Auburn dans l’État du Maine le 30 décembre 1922 et vivant actuellement à McDonough, dans les environs d’Atlanta, capitale de la Georgie, Harold Dave Andrews, Jr. obtint son brevet de pilote de l’U.S. Air Force le 25 mars 1943 à l’âge de 21 ans avec le grade de Second Lieutenant et fut promu First Lieutenant le 22 mai 1944. Du 7 mars 1944, date de sa première mission de combat au-dessus de l’aérodrome de Conches-en-Ouches (mission avortée du fait d’un rendez-vous manqué avec la chasse alliée devant assurer la protection des bombardiers légers) au 2 décembre 1944, date de sa dernière mission à Saarlautern en Allemagne (où il fut mobilisé pour aider l’avance des troupes au sol du Lieutenant General Patton et vit son avion sévèrement endommagé par la défense anti-aérienne allemande), notre pilote compléta les 65 missions qui l’autorisaient à rentrer aux U.S.A. Ce « tour » complet effectué uniquement sur le théâtre d’opérations européen (qu’il quitta définitivement le 16 décembre 1944, dans la nuit précédant le déclenchement de la bataille des Ardennes) lui valut de nombreuses décorations. Son portrait, réalisé au château de Domfront le 8 juin 2014, nous donne l’occasion de voir la belle « veste de sortie » d’un officier de l’U.S. Air Force – pantalon, chemise moutarde et cravate beige complétant réglementairement l’« Officer Service Dress Uniform » – et d’examiner les distinctions honorifiques qui lui furent décernées pour récompenser ses mérites.

le 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr.,
a rejoint les pilotes du 671st Bomb. Sq.
là-haut, dans le Grand Bleu.
près la tourmente des 13, 14 et 15 juin, Domfront connut une période de répit liée à la forte dégradation des conditions météorologiques qui affecta tout l’ouest de la France à partir du 18 juin. Le 19, une tempête avec des vents de force 7 à 8 se leva sur la Manche (emportant le port artificiel « Mulberry A » d’Omaha Beach) et dura trois jours, clouant au sol toute l’aviation alliée. Le 22 juin, le temps commença à s’améliorer, rendant possible la reprise de l’activité aérienne. C’est ainsi que le 23 juin au matin Domfront fut de nouveau prit pour cible par les P-47 Thunderbolt de la 9th Air Force. Vers 11 heures en effet, ils s’attaquèrent au lieu-dit du Pont-de-Caen (situé au nord de la commune) où filait la ligne de chemin de fer Laval-Caen et où la route de Flers, traversant la voie ferrée, franchissait la rivière de La Varenne en empruntant un pont. Ce croisement d’une voie ferroviaire et routière sur l’axe de circulation entre Laval et Caen faisait du lieu une cible toute désignée pour une opération d’interdiction. Bien qu’elle ait eu raison du pont, cette attaque des chasseurs-bombardiers manqua toutefois singulièrement de précision. Des quantités de bombes explosèrent dans les champs alentours, tuant de nombreuses bêtes. Mais les engins de mort n’ôtèrent pas la vie qu’aux animaux. Elles provoquèrent également le décès de Joseph Guénerie, employé à la SNCF comme garde-barrière, qui, ayant refusé de quitter sa maison, mourut près de chez lui. Ce fut l’ultime victime civile de tout le cycle des bombardements sur Domfront.
Comment s’expliquer le fait que Joseph Guénerie n’ait pas voulu évacuer ? Lui fut-il impossible de trouver une destination d’accueil dans la campagne environnante ? Très certainement pas car, avec un zèle dont il faut les louer, les cultivateurs firent preuve de solidarité et s’empressèrent de porter secours à ceux qui fuyaient le fracas des bombes. Et comme nous l’avons vu précédemment, le manoir de la Guyardière, situé à à peine plus d’un kilomètre du Pont-de-Caen, avait également ouvert grand ses portes dès le début des bombardements pour accueillir la population en fuite. Était-ce alors simplement de l’inconscience de sa part ? Encore moins. Nul mieux qu’un cheminot ne pouvait être informé des dangers que représentait le fait de vivre à proximité du réseau ferré, objet depuis des mois déjà des bombardements aériens alliés. Une seule explication semble en définitive s’imposer. L’héritage de 1940 et de ses traumatismes. Bien des gens refusèrent en effet l’évacuation, même après les premières attaques, se souvenant des pillages consécutifs à l’exode de juin 1940. Ils préférèrent rester plutôt que fuir en abandonnant tout derrière eux. C’est sans doute cette crainte du pillage, que partageaient également Sœur Jeanne et Germaine Renard à l’époque, qui poussa Joseph Guénerie à refuser l’évacuation, même amplement justifiée par les événements. Ce qui lui coûta certainement la vie, malheureusement.
Le lendemain, le dernier raid d’envergure du mois de juin fut lancé sur Domfront. Il visa la gare elle-même et ses installations. De quoi s’assurer pour la 9th Air Force – et les P-47 Thunderbolt qu’elle mobilisa de nouveau pour cette opération – qu’après plus d’une semaine d’inactivité dans le ciel de la ville, ce qui représentait plus de temps qu’il n’en fallait pour réparer les voies et rétablir un trafic normal, le fonctionnement du réseau ferroviaire restait bien entravé. Car, comme le rapporte Sœur Jeanne dans son Journal à la date du 25 juin (ces propos permettant également de comprendre l’hostilité manifestée par Joseph Guénerie à l’idée d’évacuer son domicile) : « tous les chemins, tous les herbages, sont remplis de gens de l’Organisation Todt. Il y en a dans les granges. Il y en a dans les cours de ferme. Ils furètent partout et chaque fois qu’ils le peuvent, ils se servent sans vergogne. La famille Roussel est aux cent coups, obligée de faire bonne garde pour sauver ses biens du pillage ». C’est donc dans les rangs de l’Organisation Todt employant la main d’œuvre nécessaire aux travaux de réparation des voies ferrées qu’on trouvait, aux côtés des Allemands, ceux dont les Domfrontais eurent à supporter les méfaits, eux qui avaient déjà à endurer une épreuve qu’on a bien du mal à se figurer aujourd’hui, nous qui nous réjouissons de la paix.
i l’on ajoute aux dix bombardements des mois de mai et juin que cette étude s’est attachée à décrire, certains avec force détails, d’autres de manière moins complète (le lecteur comprendra que des choix furent nécessaires), celui qui se déroula le 1er août 1944 lorsque vers 9 heures 30 des Lockheed P-38 Lightning de la 9th Air Force, s’acharnant pendant dix minutes sur leur cible, mitraillèrent et bombardèrent de nouveau la gare de Domfront, suivis à 17 heures de De Haviland DH-98 Mosquito de la RAF qui larguèrent quelques bombes seulement sur le même objectif, c’est en tout onze bombardements sérieux que la ville de Domfront subit au cours de la bataille de Normandie. Ceux du mois de juin furent les plus marquants, dévastant la cité jusqu’en son cœur. Des maisons ruinées. Des quartiers d’habitation totalement anéantis. Des monceaux de gravats et de débris obstruant des rues défigurées, totalement méconnaissables. Et l’horreur qui s’installe quand des civils sont atteints dans leur chair. 37 en tout, fauchés en un instant par la cruauté de la guerre. Quelle amertume, quelle colère durent ressentir ceux qui virent ainsi le fruit d’une vie de labeur envolé en un rien de temps et perdirent des êtres chers pour l’éternité. Et pourtant, les habitants de Domfront témoignèrent de la gratitude à ceux qui peu de temps auparavant les bombardaient, la libération permettant d’accepter ce sacrifice et venant apporter un peu de baume aux blessures. Cette acceptation des attaques aériennes par ceux qui y survécurent mérite tout notre respect. Il n’est pas sûr que nous réagirions ainsi sous les bombes de pays amis.
e tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à Harold Dave Andrews, Jr. qui, comme beaucoup d’autres, est entré dans ce drame que fut la Seconde Guerre mondiale et a accepté volontiers de me faire partager son expérience de jeune pilote à travers nos différents échanges et notre rencontre du dimanche 8 juin 2014. J’aimerais également remercier David et Stephanie, son fils et sa petite-fille, sans lesquels cette rencontre n’aurait pu avoir lieu, ainsi qu’Erwan Lévénez qui a bien voulu me servir d’interprète, palliant ainsi les imperfections de mon expression en langue anglaise. Je voudrais aussi remercier les archives et archivistes qui m’ont fourni la matière brute de mes recherches. Stéphane Robine, des Archives départementales de la Manche, qui m’a permis de découvrir l’erreur de navigation du 14 juin 1944, et Wayne G. Sayles, du 416th Bomb Group Archive, dont le travail de conservation et de communication s’est avéré aussi précieux que sa coopération a été chaleureuse et généreuse. J’ai une dette spéciale envers Daniel Yvetot qui m’a confié sa retranscription du Journal de Sœur Jeanne et m’a ouvert sa collection unique de documents iconographiques, ainsi qu’envers Annette Bielec qui m’a fait don d’une série de clichés inestimables. Toute ma reconnaissance va à Jean-Philippe Cormier qui m’a encouragé tout au long de ces recherches, me faisant part de critiques constructives et m’ouvrant de nouvelles perspectives. À Christian Jenvrin, qui m’a constamment assuré de son soutien. À Christèle Savary, Michel Marguerite, Serge Ridard, ainsi qu’à tous mes collègues et ami-e-s qui ont concouru à leur manière à la réalisation de cette étude.
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(Dernière mise à jour : juillet 2019)
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