70e anniversaire de la libération de Domfront
De la détresse à l’allégresse

ll y a soixante-dix ans, les GI’s de l’armée américaine libéraient Domfront qui paya par ses victimes et ses ruines une part importante du sacrifice imposé à la Normandie pour mettre fin à quatre années d’occupation. Pour commémorer cet anniversaire, l’étude qui suit se propose d’exposer les événements qui frappèrent en plein cœur la cité médiévale. La première partie retrace l’histoire de la libération de la ville et dresse une liste complète des victimes civiles, tandis que la seconde partie analyse les bombardements des mois de mai et juin 1944. S’appuyant sur des témoignages de survivants, des photographies inédites et des documents d’archives militaires américains récemment déclassifiés, cette étude apporte un nouvel éclairage sur ces journées tragiques. Elle vise ainsi à approfondir la compréhension de cet épisode marquant de l’histoire de Domfront et à en préserver la mémoire.

- Première partie -

Une inoubliable page d’histoire

Mai et juin 1944

Le temps de la désolation
D’un point de vue militaire, l’utilisation des bombardiers pour détruire les voies de communication et le réseau ferroviaire français a été déterminante, car elle a empêché ou retardé l’acheminement sur le champ de bataille de Normandie d’unités de renfort allemandes. Sans ces bombardements, les forces allemandes auraient pu circuler plus librement et arriver sur le théâtre d’opérations en bien meilleur état, ce qui aurait probablement rendu la bataille de Normandie beaucoup plus longue et plus coûteuse.

Aux yeux du commandement allié, Domfront s’imposait comme une cible stratégique pour les bombardiers. Carrefour important pour le mouvement des troupes et du matériel ennemis, la ville se situe au croisement de deux axes majeurs de circulation : un axe nord-sud reliant Caen à Laval, et un autre est-ouest reliant Paris à la Bretagne via Alençon. Aujourd’hui disparue, la ligne ferroviaire de la ville desservait quant à elle les gares d’Alençon, de Caen, de Laval et d’Angers. Pour assurer le succès des opérations, il était donc crucial de neutraliser ce nœud routier et ferroviaire.

C’est ainsi qu’à partir du 28 mai 1944 et durant tout le mois de juin, les chasseurs-bombardiers Republic P-47 Thunderbolt, les bombardiers légers Douglas A-20 Havoc et les bombardiers moyens Martin B-26 Marauder de la 9th Air Force américaine, commandée par le Lieutenant General Lewis Hyde Brereton, furent lancés sur Domfront. Ils pulvérisèrent la gare, les quartiers avoisinants et le centre-ville, semant la mort et la désolation parmi la population civile. Trente-sept hommes, femmes et enfants périrent, dont vingt-sept lors du seul bombardement du mercredi 14 juin 1944, le plus meurtrier d’entre tous. Malgré les souffrances et les pertes tragiques endurées, les habitants restèrent reconnaissants envers les Alliés, conscients que cette épreuve était le prix de leur liberté.
Jeudi 15 juin 1944, à 18h20, bombardement à 2 500 pieds de la gare de Domfront par des Douglas A-20G Havoc américains du 671st Bombardment Squadron, appartenant au 416th Bombardment Group de la 9th Air Force. L’avion de droite, baptisé « Uncle Bob » (numéro de série 43-9951, code de fuselage 5C-P), était piloté par le Second Lieutenant James R. Miller, avec le Sergeant Robert G. Schrom comme mitrailleur arrière et le Sergeant Julius Galender comme mitrailleur de tourelle. (Coll. U.S. NARA).
Vue aérienne de Domfront réalisée en août 1944 par les Américains montrant les multiples cratères causés par les bombes larguées par l’aviation alliée. (Coll. IGN, annotations L. Letendre).
Les photographies inédites suivantes, prises par des habitants de Domfront au mois de juin 1944 alors que les ruines de la cité n’ont pas encore été déblayées, témoignent de la tragédie vécue cet été-là, le plus long qu’ait connu la Normandie.
Photographie prise à proximité du Pont de Godras, en direction du Grand Carrefour, montrant les décombres d’une habitation effondrée dans la rue des Barbacanes. Au milieu des poutres de charpente, un panneau indicateur signale une zone dangereuse. (Coll. L. Letendre).
Située au-dessus de la rue des Barbacanes, l’une des deux tours de Godras fut durement touchée. La photographie est prise depuis le Pont de Godras, où l’on distingue un poteau électrique en béton et un poteau téléphonique en bois. Leur repérage s’avère essentiel pour interpréter deux clichés exceptionnels mais de mauvaise qualité réalisés au même endroit le 15 juin 1944 et présentés dans la seconde partie de cette étude. (Coll. L. Letendre).
La rue du Chêne-Vert où, lors du bombardement survenu à 20h le 14 juin 1944, Fernande Grare (26 ans), ses trois filles (Nicole, Danielle et Monique, âgées respectivement de 1, 3 et 7 ans), ainsi que son père Fernand Pontoire (49 ans), domiciliés à Paris et réfugiés à Domfront, furent tués. (Coll. L. Letendre).
Monceaux de gravats et de ferrailles tordues, rue des Fossés-Plisson. Écrasés sous les décombres de leur maison lors des bombardements, certains civils disparurent à jamais, leurs corps n’ayant jamais été retrouvés. (Coll. L. Letendre).
Cette maison du centre-ville de Domfront, éventrée, laisse voir ses pièces depuis la rue. (Coll. L. Letendre).
Réalisées juste après la libération de la ville par les militaires américains, les vues aériennes ci-dessous illustrent également la violence et l’ampleur des destructions occasionnées par les bombardements de l’aviation alliée.
Prise le 17 août 1944 par les Américains, cette photographie aérienne illustre l’ampleur des destructions infligées à la ville lors du bombardement du mercredi 14 juin 1944. Frappé de plein fouet, le cœur de la cité est dévasté. Au centre de l’image, on peut apercevoir les engins du Génie américain à l’œuvre pour déblayer, près du Pont de Godras, la rue des Barbacanes, tandis qu’une pelleteuse Osgood est positionnée au milieu du Grand Carrefour. (Coll. U.S. NARA).
Vue aérienne prise le 17 août 1944 par les Américains montrant à droite le Collège de Domfront (renommé Lycée Auguste-Chevalier en 1959), qui reçut l’ordre, le 27 mars 1944, d’évacuer ses locaux avant le samedi 1er avril afin de pouvoir loger des soldats en cas de besoin. En face, le Champ de Foire, aménagé en parc à fourrage par l’occupant, était équipé de hangars pour abriter la paille et le foin réquisitionnés dans les communes voisines. On distingue également, rue de Godras, un camion américain GMC, tandis qu’à gauche du cliché, une ambulance Dodge et deux jeeps Willys circulent rue du Maréchal-Joffre. Deux autres véhicules, difficilement identifiables, sont stationnés sur l’un des trottoirs de la rue du Maréchal-Foch. (Coll. U.S. NARA).
En hommage aux victimes civiles de ces raids aériens, nous publions ci-dessous la liste des trente-sept personnes tombées au cours des bombardements subis par la ville de Domfront, en précisant leur identité ainsi que la date et, dans la mesure du possible, le lieu et les circonstances de leur mort. Nous ne les oublierons jamais.
Monument érigé au cimetière de La-Croix-des-Landes en hommage aux victimes civiles des bombardements aériens sur la ville de Domfront. Inaugurée le 23 octobre 1949, cette œuvre du sculpteur fertois Marcel Pierre a su symboliser la dure épreuve traversée. En nous inclinant devant ce monument du souvenir, nous perpétuons la mémoire de ceux qui payèrent de leur vie la délivrance de notre patrie. (Photos et montage L. Letendre).
Les noms des victimes civiles gravés dans le granit du monument érigé en leur mémoire (face nord du monument à g. et face sud à dr.). (Photos et montage L. Letendre).
Liste des trente-sept victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront (page 1). (Doc. L. Letendre).
Liste des trente-sept victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront (page 2). (Doc. L. Letendre).
Liste des trente-sept victimes civiles tombées au cours des bombardements aériens subis par la ville de Domfront (page 3). (Doc. L. Letendre).
Le premier monument érigé au cimetière de La-Croix-des-Landes en hommage aux victimes civiles tombées lors des bombardements aériens ayant frappé la ville de Domfront. (Coll. E. Guérin).
Août 1944

Le triomphe de la liberté
Le 11 août 1944, la contre-offensive allemande lancée le 7 août depuis Mortain en direction d’Avranches pour couper la Third Army du Lieutenant General George S. Patton de ses arrières – « l’opération Lüttisch » – fut abandonnée. Dans la nuit, la 7. Armee du SS-Oberstgruppenführer und Generaloberst der Waffen-SS Paul Hausser commença à se replier vers l’est. Le matin du 12 août, Alençon fut libérée par la 2ème Division Blindée française du Général Philippe Leclerc de Hauteclocque.

Le même jour, dans la soirée, les unités américaines suivantes reçurent l’ordre de s’emparer de Domfront le lendemain : les véhicules blindés de reconnaissance du 82nd Armored Reconnaissance Battalion (appartenant à la 2nd Armored Division « Hell on Wheels ») ; ceux du 125th Cavalry Reconnaissance Squadron (Mechanized) (relevant momentanément de la 30th Infantry Division « Old Hickory ») ; les chars M4 Sherman de la D Company du 67th Armored Regiment (2nd Arm. Div.) ; l’infanterie d’assaut de la E Company du 41st Armored Infantry Regiment (2nd Arm. Div.) ; les obusiers automoteurs de 105mm des HMC M7 du 65th Armored Field Artillery Battalion (rattaché temporairement à la 2nd Arm. Div.).

Lancée à 16h le 13 août du village de Rouellé en direction de celui du Pont-d’Égrenne (respectivement à 5 km à l’ouest de Domfront et à 4 km au sud) de manière à se rabattre ensuite sur la ville en faisant face aux hauteurs sur lesquelles elle fut bâtie, mais ralentie par les champs de mines et les lance-roquettes ennemis, l’offensive fut suspendue le soir venu et ne reprit qu’aux premières lueurs du jour le 14 août.

Sur les deux cartes américaines au 1/500.000e ci-dessous établies par l’« Engineer Section » de l’état-major du 12th Army Group – le service chargé d’élaborer chaque jour à midi les cartes faisant état de la situation des combats pour le groupe d’armée du Lieutenant General Omar N. Bradley – et couvrant la période des 13 et 14 août 1944, on constate le retrait du secteur de Domfront des 17. SS-Panzer-Division « Götz von Berlichingen », 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg », 1. SS-Panzer-Division « Leibstandarte Adolf Hitler » et 2. Panzer-Division, sous la pression conjuguée de la Hell on Wheels (« L’enfer sur roues », en fr.) du Major General Edward H. Brooks et de la Old Hickory (« Vieux noyer ») du Major General Leland S. Hobbs.
Mention apposée par l’« Engineer Section » du 12th Army Group sur la carte du 13 août 1944. (Coll. Library of Congress).
Carte au 1/500.000e du 12th Army Group faisant état de la situation des combats le 13 août 1944 à 12h (détail). (Coll. Library of Congress).
Mention apposée par l’« Engineer Section » du 12th Army Group sur la carte du 14 août 1944. (Coll. Library of Congress).
Carte au 1/500.000e du 12th Army Group faisant état de la situation des combats le 14 août 1944 à 12h (détail). (Coll. Library of Congress).
Manifestement toutefois, lorsqu’elle établit à midi la carte faisant état de la situation des combats le 14 août, l’« Engineer Section » de l’état-major du 12th Army Group évalua mal la situation : a) en localisant la 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg » à Domfront, alors qu’elle se situait en réalité au nord-ouest de Saint-Bômer-les-Forges ; b) en ignorant la présence à Domfront et dans la forêt d’Andaine d’éléments de la 708. Infanterie-Division allemande (placée de manière inexacte dans le secteur de Rânes).

C’est ce qu’atteste la carte d’état-major établie le 14 août par la « Section Opérations » de l’Armée de terre allemande que nous publions en complément.

Si cette dernière indique bien la présence, au nord de Domfront, de la 10. SS-Pz-Div. « Frundsberg », accompagnée par une « Kampfgruppe » de la 275. I.D., et la présence de la 708. I.D. dans la forêt d’Andaine, elle ne détaille cependant pas encore suffisamment la situation en précisant que les deux bataillons présents dans Domfront – matérialisés par deux flèches rétrocédant à partir du 13 août au soir devant la poussée américaine – correspondaient à un bataillon du Grenadier-Regiment 728, qui s’établit dans les bois du Tertre Saint-Anne (situé au nord-ouest de la ville, sur un éperon rocheux faisant face au vieux château et dominant du haut de ses 50 mètres la voie de chemin de fer et la rivière de la Varenne), et au Pionier-Bataillon 708, qui s’installa dans Saint-Front (situé au sud-est de la ville et dont la paroisse fut réunie à celle de Domfront en 1863 pour ne plus former qu’une seule et unique commune). Ces deux éléments de la 708. I.D. se trouvaient ainsi séparés du gros de la division, positionné dans la forêt d’Andaine (au sud-est de Champsecret) avec les restes de la 5. Fallschirmjäger-Division et la Panzeraufklärungs-Abteilung 9 de la 9. Panzer-Division.
Mention apposée par la « Section Opérations » (« Operations Abteilung », abrév. « Op ») de l’État-major Opérations des Forces armées (« Wehrmacht-führungsstab », abrév. « WF St ») de l’Armée de terre (« Heer », abrév. « H ») allemande sur la carte faisant état de la situation (« Lage ») des combats sur le front ouest (« West ») le 14 août 1944. (Coll. U.S. NARA).
Carte au 1/80.000e du WFSt Op (H) West faisant état de la situation des combats sur le front ouest le 14 août 1944 (détail). (Coll. U.S. NARA).
Grâce à l’initiative courageuse de quelques Domfrontais qui, au péril de leur vie, parvinrent à rejoindre les lignes alliées le 14 août vers 14h et à fournir des renseignements précieux au commandement américain, les états-majors des deux bataillons allemands furent encerclés vers 15h et faits prisonniers sans difficulté. Quelques instants plus tard, au terme d’un bref engagement dans le Tertre Saint-Anne, une compagnie entière de soldats du Grenadier-Regiment 728 se rendit également (les autres parvenant à s’enfuir), tandis que les hommes du Pionier-Bataillon 708 capitulèrent sur ordre de leur commandant après avoir opposé une légère résistance.

Vers 16h, Domfront fut ainsi définitivement libéré du joug qui avait si lourdement pesé sur ses habitants. Le soir même, le 120th Infantry Regiment (30th Inf. Div.) releva les unités de la 2nd Arm. Div. et établit son quartier général dans la ville (jusqu’au 19 août), suivi le lendemain par l’état-major du 117th Inf. Rgt. (30th Inf. Div.) et par celui de la Old Hickory elle-même (le premier ne s’y installant que la journée du 15 août, tandis que le second y demeura du 15 au 19).
Photographie prise le 15 août 1944 montrant un trou béant sur la voûte du Pont de Godras, causé par l’une des bombes larguées lors du bombardement du 14 juin. Le photographe opère rue des Barbacanes, tandis que le Private G.D. Wood se trouve rue de Godras. (Coll. U.S. NARA).
Photographie prise le 15 août 1944 depuis le Pont de Godras montrant des soldats du 2nd Battalion du 120th Infantry Regiment de la 30th Inf. Div. « Old Hickory », chargés d’occuper Domfront, progresser vers le Grand Carrefour au milieu des ruines de la rue des Barbacanes (l’un d’eux, au premier plan, transportant deux pelles). Pendant ce temps, les 1st et 3rd Battalions du régiment sont engagés dans des combats au nord de la ville, à Saint-Bômer-les-Forges. Au dos du cliché figure la légende : « American infantrymen pick their way through the debris and rubble as they advance through the french town of Domfront in pursuit of the fleeing german forces. France. 15/8/44 ». (Coll. U.S. NARA).
La légende de cette photographie réalisée le 15 août 1944 signale que des officiers américains, gênés par l’ampleur des destructions, cherchent quelles routes dégager en priorité pour permettre le passage de la circulation. Ces officiers se trouvent au Grand Carrefour, le cliché ayant été pris à quelques mètres du précédent, depuis les jardins qui dominent la rue des Barbacanes, côté est. (Coll. U.S. NARA).
Agrandissement de la photographie précédente et dos du cliché dont la légende nous apprend que l’ampleur des destructions, causées non par l’artillerie, comme indiqué par erreur, mais par l’aviation, pose un problème aux officiers américains s’entretenant au Grand Carrefour. Ces derniers cherchent quelles routes déblayer pour permettre au trafic routier de s’écouler plus facilement. Ce dos du cliché nous révèle également qu’il a été réalisé par un correspondant-photographe de guerre du Signal Corps dénommé Norbie. On peut penser que tout ou partie des prises de vue effectuées dans Domfront immédiatement après la libération, avec le code d’identification du Signal Corps inscrit en bas à droite de la photographie, l’a été par ses soins. (Montage L. Letendre).
Photographie prise en juin 1944 depuis le Grand Carrefour, en direction de l’est, dans l’axe de la rue du Maréchal-Foch, alors que Domfront était encore sous occupation allemande. Au centre du cliché, on distingue un camion allemand, difficile à identifier avec certitude, camouflé sous des branchages pour tenter d’échapper à la vigilance des aviateurs alliés. (Coll. L. Letendre).
Même lieu que celui du cliché précédent, mais photographié le 17 août 1944, après la libération de Domfront, tandis que des soldats allemands sont emmenés vers des camps de prisonniers. Le travail de la censure américaine interdit toute identification précise de l’unité à laquelle appartiennent ces camions. Il s’agit toutefois de GMC CCKW-353 Cargo (2,5 t., 6x6) avec cabine bâchée et sans treuil. Notons également que la voie de circulation a désormais été dégagée par le Génie américain. (Coll. U.S. NARA).
Photographie prise le 14 août 1944 rue des Fossés-Plisson montrant des soldats de la 2nd Arm. Div. surveillant des prisonniers allemands appartenant au Gren. Regt. 728 de la 708. I.D., avant leur départ vers un camp de prisonniers. Le GI au premier plan (du 82nd Arm. Rec. Bn.) porte l’insigne de la « Hell on Wheels » sur l’épaule gauche. Celui au second plan est équipé d’un fusil Springfield M 1903 et porte, comme les autres GI’s du 41st Arm. Inf. Rgt., la tenue de camouflage appelée « two-piece herringbone twill camouflage jungle suit », très peu utilisée en Normandie pour éviter des méprises avec les Waffen-SS. (Coll. U.S. NARA).
Les mêmes prisonniers allemands marchant dans Domfront. On distingue le foulard blanc autour du cou de l’un d’entre eux, visible sur la prise de vue précédente, et seule l’ombre du neuvième soldat apparaît à droite. Croisant une jeep, ils sont escortés par un GI qui se tient à l’arrière-plan. Au premier plan, les traces de chenilles déjà visibles sur le cliché précédent sont également présentes au sol. Cette photographie a été prise à quelques mètres du carrefour situé entre la rue Montgomery (qu’empruntent les prisonniers) et la rue des Fossés-Plisson. (Coll. U.S. NARA).
Bien que l’Organisation Todt – le groupe de génie civil et militaire de l’Allemagne nazie employant essentiellement des ouvriers étrangers, notamment ceux, français, soumis au travail forcé dans le cadre du S.T.O. – ait rapidement entrepris un dégagement sommaire des principaux axes routiers de la cité médiévale, permettant ainsi de rétablir un trafic normal vers le 20 juillet 1944, les officiers du Génie américain commencèrent dès le 15 août à organiser un déblaiement plus complet afin de faciliter la circulation de la 2nd Arm. Div. qui s’achemina vers Sées le 18 août, après avoir été mise au repos dans le secteur de Barenton les 16 et 17 août, et celle de la 30th Inf. Div. qui rejoignit Brezolles (au sud-est de Verneuil-sur-Avre) le 19 août, après s’être confrontée dès le milieu de l’après-midi du 14 août sur les collines aux abords nord de Domfront (dans le secteur des fermes de la Bouhardière et de la Bigotière) à un groupe de combat allemand constitué autour des huit blindés encore opérationnels du SS-Panzer-Regiment 10 « Langemark », des obusiers du II./SS-Panzer-Artillerie-Regiment 10 (deux unités appartenant à la 10. SS-Panzer-Division « Frundsberg ») et de soldats de la 17. SS-Panzer-Grenadier-Division « Götz von Berlichingen », puis s’être emparée de Saint-Bômer-les-Forges le lendemain (la B Company du 1st Battalion du 120th Inf. Rgt. libérant le village le 15 août à 8h).
Photographie prise le 14 août 1944 au Grand Carrefour, en face de la tour de la Porte d’Alençon et de la Grande Rue, cette dernière étant totalement obstruée par des gravats, tout comme la rue des Barbacanes qui débouche à droite du cliché, à l’angle de la façade encore debout, et mène vers la route de Flers. À l’arrière-plan, on distingue l’église Saint-Julien et son clocher en béton qui domine la ville, œuvre de l’architecte Albert Guilbert. (Coll. U.S. NARA).
Le 15 août 1944, deux GI’s de la HQ Company du 2nd Battalion du 120th Inf. Rgt. établissent une ligne téléphonique au pied de la tour de la Porte d’Alençon. Au dos du cliché figure la légende suivante : « Communications men repair lines in Domfront, France. The lines were laid before the Germans were completely cleared out, and were cut by them when they left. 15/8/44 ». (Coll. U.S. NARA).
Le 17 août 1944, une pelleteuse Osgood du Génie américain charge des gravats dans un camion GMC CCKW 353 Cargo, déblayant ainsi le Grand Carrefour, sévèrement frappé par le bombardement du 14 juin 1944. Remarquons la marque de la pelleteuse visible sur la flèche de l’engin. (Coll. U.S. NARA).
Un groupe de soldats du 2nd Battalion du 120th Inf. Rgt. discute à l’intersection des rues de la Poterne, des Barbacanes, du Champ de Foire et de Flers. Pris le 15 août depuis le Pont de Godras (en direction de la route de Flers), ce cliché montre de nouveau la maison effondrée rue des Barbacanes dont les décombres gênent la progression des unités motorisées de la « Old Hickory » vers le secteur nord de Domfront, les obligeant à faire un détour. (Coll. U.S. NARA).
Présentant des risques pour la circulation des camions, les Américains préférèrent démolir le Pont de Godras à l’aide d’explosifs lorsqu’ils déblayèrent la rue des Barbacanes. On voit ici les hommes du Génie équipés de barres à mine déchausser les derniers blocs de pierres menaçant de chuter sur la route. (Coll. U.S. NARA).
14 août 1944 - 14 août 2014

La mémoire vive
De nombreuses commémorations, publications et émissions de radio ou de télévision viennent de célébrer avec éclat le Débarquement et la Bataille de Normandie. Ces célébrations sont indispensables pour éviter l’effacement de la mémoire. Mais s’il nous faut maintenir vivant le souvenir, nous devons veiller à ce que rien ne nous détourne du présent et de l’avenir. À quoi bon la répétition du « il ne faut pas oublier » si celle-ci n’a aucune incidence sur les barbaries qui se produisent aujourd’hui ? Si le passé doit être présent dans la mémoire, c’est pour en tirer des leçons et agir sur le présent. Ceux qui connaissent l’horreur du passé ont le devoir d’élever leur voix contre les horreurs qui se déroulent dans le monde actuellement. Si cette étude commémorant le 70e anniversaire de la libération de Domfront peut contribuer à la lutte contre les idéologies totalitaires, elle aura alors atteint son but : mettre le passé au service du présent pour combattre les barbaries d’aujourd’hui.
L’Hôtel de Ville de Domfront où les troupes américaines installèrent le 15 août 1944 le bureau des « Civils Affairs ». Devant l’édifice, on distingue un véhicule blindé de reconnaissance M8 Light Armored Car. (Coll. U.S. NARA).
Le 16 août 1944, de petits groupes de Domfrontais se sont formés sur la Place de la Roirie, devant l’Hôtel de ville. Sous le porche de la mairie se trouve un pompier casqué, tandis qu’un second est assis à l’avant-droite du Dodge WC-51. (Coll. L. Tarot).
Le 14 août 1944, un char Sherman de la 2nd Armored Division « Hell on Wheels », affecté à la D Company du 67th Armored Regiment, patrouille dans la haute ville de Domfront. Il évolue dans l’étroite rue Saint-Julien, passant devant l’église du même nom, accompagné de fantassins de la E Company du 41st Armored Infantry Regiment, eux aussi rattachés à la division, qui inspectent les maisons. (Coll. U.S. NARA).
Devant les locaux de la Défense passive, deux GI’s de la E Company du 41st Arm. Inf. Rgt. s’entretiennent avec M. Pelotin, gardien-chef de la prison de Domfront. Tout à leur bonheur d’être enfin affranchis du joug nazi, la joie se lit sur les visages de ceux qui écoutent la conversation, notamment Alfred Riverain, Robert et Édouard Sonnet, qui se tiennent à gauche de la photographie, derrière le GI. (Coll. L. Tarot).
Photographie prise le 14 août 1944 par Jeanne Dupont, enseignante au pensionnat de jeunes filles de l’Ange Gardien de Domfront. Les soldats de la E Company du 41st Arm. Inf. Rgt., équipés d’une mitrailleuse Browning 1919 A4 calibre 30, de leur fusil Springfield M 1903 et de leur « two-piece herringbone twill camouflage jungle suit », prennent manifestement la pose face au Palais de Justice, Place de la Liberté. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).

- Seconde partie -

Les bombardements

de mai et juin 1944

Analyse et témoignages

Avant-propos
Sur les opérations alliées qui se déroulèrent durant les mois de mai et juin 1944 dans le ciel de Domfront, le Journal inédit de Sœur Jeanne [1], le récit de Gabriel Hubert, André Paillette et André Timothée [2], ainsi que les mémoires de Germaine Renard [3] et d’André Rougeyron [4] nous offrent de précieuses informations. Mais ces monographies locales ne proposent qu’un aperçu des questions militaires et sont imprécises ou tout simplement inexactes lorsqu’il s’agit de l’identification des unités mobilisées et des moyens matériels engagés par les Alliés. Ce sont ces lacunes que cette étude vise à combler en présentant une analyse de chacun des principaux bombardements dont Domfront fut la cible au cours des mois de mai et juin 1944, bombardements qui marquèrent à jamais l’histoire de la cité médiévale. Cette analyse fut lente et difficile et suppose de la part du lecteur de la patience et du temps, ce qui devient rare au sein d’un âge de hâte qui veut tout de suite en avoir fini avec tout. Si elle découragera tous les « hommes pressés », gageons qu’elle saura susciter l’intérêt des véritables passionnés et qu’elle leur donnera autant de plaisir à la lire que nous en avons eu à l’écrire.

Dimanche 28 mai 1944

Le prélude au martyre
C’est le dimanche de Pentecôte 1944, dans le cadre du « Transportation Plan », le « plan des transports » mis au point par Solly Zuckerman, le conseiller scientifique de l’Air Marshal Sir Arthur Tedder [5], visant à mettre à mal toute l’infrastructure de transports ferroviaires, routiers et aquatiques utilisée par les forces allemandes en Allemagne et dans tous les territoires occupés par elles, que Domfront devint pour la première fois la cible des avions américains de la 9th Air Force du Lieutenant General Lewis Hyde Brereton.
Accompagné du Colonel Edward Nolen Backus, Commanding Officer du 97th Combat Wing, le Lieutenant General Lewis Hyde Brereton (à g.), commandant de la 9th Air Force, inspecte la base aérienne AAF-170 de Wethersfield en Angleterre le 24 avril 1944. On remarque le bâton télescopique qu’il tient en main, utile pour désigner des cibles sur les grandes cartes d’état-major suspendues dans les locaux réservés aux officiers chargés du renseignement. (Coll. F.J. Cachat).
Organisation de la Ninth Air Force, commandée par le Lieutenant General Lewis Hyde Brereton, le 9 juin 1944. (Coll. AFHRA).
Si les documents d’archives que nous avons consultés nous autorisent à affirmer que c’est bien la 9th Air Force qui attaqua les installations ferroviaires de la ville de Domfront le dimanche 28 mai 1944 entre 8h30 et 9h, aucun, en revanche, ne nous permet d’établir avec certitude l’identité exacte de l’unité aérienne mobilisée ce jour-là. Les seules sources dont nous disposons actuellement pour comprendre la réalité de ce premier raid sont les récits qu’en firent les témoins oculaires. Toutefois, l’estimation du nombre d’avions diffère d’un témoignage à l’autre : Sœur Jeanne avance le chiffre d’une « dizaine » ; MM. Hubert, Paillette et Timothée l’estiment à une « trentaine », tandis qu’André Rougeyron l’évalue pour sa part à une « quarantaine ».

Nous nous heurtons ici au problème que pose l’usage du témoignage en histoire. Contrairement au document officiel, reconnu vrai et offrant des données objectives, le témoignage est le reflet d’une mémoire brute qui, parce qu’il s’inscrit dans le vécu, peut s’avérer subjectif et partiel. Faut-il pour autant l’écarter d’un revers de la main et lui refuser toute crédibilité ? Non, mais il est nécessaire de faire un effort pour le contrôler et, à partir de celui-ci, tenter de reconstruire la réalité. À défaut de documents d’archives permettant, par triangulation, de recouper les informations (ce que nous serons amenés à faire dans la suite de cette étude concernant d’autres raids aériens), nous poserons donc deux hypothèses afin d’évaluer le nombre et le type d’appareils – un type qui n’est pas non plus clairement défini dans les témoignages – mobilisés par la 9th Air Force ce dimanche 28 mai dans le ciel de Domfront.

Reprenons les récits des témoins pour établir la première hypothèse. « Sur nos têtes, relate Sœur Jeanne dans son Journal, tout près, passent le souffle de plusieurs avions descendus en piqué, moteurs presque arrêtés, et le bruit repart, les appareils prennent de la hauteur et ils piquent à nouveau ». À la même heure, Gisèle Paillette, une jeune domfrontaise, observa la scène depuis sa fenêtre de la rue des Fossés-Plisson : « Les avions alliés piquent deux à deux sur la gare, lâchent leurs bombes, et remontent, faisant le tour du clocher (de l’église Saint-Julien, NDA) en crachant des rafales de mitrailleuses ».

Ces deux témoignages nous permettent de déduire que ce ne sont pas les bombardiers légers ou moyens du type Douglas A-20 Havoc ou Martin B-26 Marauder en service au sein du IX Bomber Command qui opérèrent alors, mais des chasseurs-bombardiers attaquant en piqué. Et, puisque Sœur Jeanne s’avère tout à fait capable d’identifier ce qu’elle appelle dans son Journal les « avions fourchus » – les fameux Lockheed P-38 Lightning, l’un des deux types de chasseur-bombardier alors en service au sein des groupes de chasse-bombardement du IX Tactical Air Command, facilement reconnaissables à leur deux moteurs et à leur double queue – mais n’en dit rien ce jour-là, le type d’avions mobilisés ne laisse que peu de place au doute : il s’agit très probablement de monomoteurs Republic P-47 Thunderbolt, le second type de chasseur-bombardier en service au sein du IX Tactical Air Command, commandé par le Major General Otto Weyland et relevant de la 9th Air Force.

En outre, sachant qu’une escadrille (« squadron » en angl.) de chasseurs-bombardiers de la 9th Air Force comptait théoriquement 25 avions, l’estimation du nombre d’appareils mobilisés proposée par MM. Hubert, Paillette et Timothée nous semble la plus proche de la réalité. Par comparaison, ce premier raid fut d’ailleurs beaucoup moins violent que le second (celui du 2 juin 1944) qui mobilisa, lui, un « Group » de deux « squadrons » de P-47 Thunderbolt (soit 50 avions), comme le rapporte le compte-rendu (que nous présenterons par la suite) de l’Air Chief Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory, commandant en chef des forces aériennes anglaises et américaines dites « tactiques ». Aussi est-ce, selon toute vraisemblance, un « squadron » équipé de 25 Republic P-47 Thunderbolt de l’un des groupes de chasse-bombardement du IX Tactical Air Command qui prit pour cible la gare de Domfront ce 28 mai 1944.
La gare de Domfront photographiée en septembre 1943. (Coll. P. Gandon).
Autre vue de la gare de Domfront datant de septembre 1943 montrant, au premier plan, le réservoir d’eau destiné à alimenter les locomotives. (Coll. P. Gandon).
Le passage à niveau de la route de Mortain et la maison du garde-barrière photographiés en septembre 1943. (Coll. P. Gandon).
Bâtiments annexes de la gare de Domfront. Le chef de gare et sa famille eurent la vie sauve lors de l’attaque du 28 mai 1944, un véritable miracle ! À l’arrière-plan, on distingue le passage à niveau de la route de Mortain, le donjon du château de la cité médiévale, ainsi que les deux clochers des églises Notre-Dame-sur-l’Eau et Saint-Julien. (Coll. D. Yvetot).
Ce premier raid aérien ne causa ni morts ni blessés parmi la population civile. Seul un soldat allemand fut légèrement blessé. En revanche, il occasionna d’importants dégâts matériels. Présent ce matin-là aux côtés de sa mère lors de la messe dominicale animée à l’orgue par Sœur Jeanne, le jeune Jean-Pierre Lechevallier se souvient de la panique qui saisit l’assistance lorsque, en plein office, le vrombissement des moteurs d’avions surprit tout le monde. Trompant la vigilance de sa mère en quittant précipitamment l’église, Jean-Pierre, alors âgé de 17 ans, se rendit au château, situé à quelques centaines de mètres, et garde en mémoire le spectacle terrifiant qu’il aperçut depuis les remparts, s’étendant sur tout le Quartier Notre-Dame.

Quand les avions s’éloignèrent, le quartier était noyé dans une fumée épaisse alimentée par plusieurs foyers d’incendie. Une fumée noire venait d’un foyer à gauche, sans doute des réservoirs situés derrière la distillerie. Plus à droite, la gare elle-même disparaissait dans un formidable rideau de fumées jaunâtres, traversé d’éclairs de flamme. Plusieurs maisons aux alentours furent également sévèrement touchées, notamment près des voies de chemins de fer : détruits, précise Sœur Jeanne, « les petits bâtiments, les magasins de fourrage de la Maison Villette et l’un des réservoirs à essence. Détruites aussi la maison Lagarde et les écuries Coudray et Piquet. Très touchée encore, la maison du cantonnier Jardin, en arrière de la maison Villette […] Quoique moins importants, d’autres dégâts chez Feyt ». Bien qu’une centaine de vitres ait volé en éclats et que la toiture de certains bâtiments fût pour une part endommagée, l’hôpital de Domfront demeura quant à lui pratiquement intact.
La façade principale de la gare de Domfront photographiée au tout début du XXe siècle. (G. Hubert, Éditeur).
La gare de Domfront, ravagée par le bombardement du 28 mai 1944. Malheureusement de piètre qualité, cette photographie a été prise du côté de la façade principale de l’édifice. (Coll. D. Yvetot).
Après le bombardement, près du passage à niveau de la route de Mortain et de la maison du garde-barrière, les voies ferrées sont sectionnées. À l’arrière-plan, on distingue la gare en ruines et le réservoir d’eau des locomotives, qui fut criblé de balles de mitrailleuse. (Coll. D. Yvetot). (Coll. D. Yvetot).
« On ne sait pas au juste combien de bombes sont tombées, reconnaît Sœur Jeanne, surtout des bombes explosives à ce qu’il semble, mais aussi des bombes incendiaires. Toutes d’ailleurs n’ont pas éclaté, ce qui fait que l’on a dû interdire l’accès à certains endroits ». Pour établir le nombre de bombes larguées lors de ce premier raid du 28 mai 1944, nous pouvons également utiliser le compte-rendu du raid aérien du 2 juin 1944 rédigé par Sir Trafford Leigh-Mallory et formuler une dernière hypothèse.

Le 2 juin en effet, et dans des conditions météorologiques similaires, ce sont 56 bombes incendiaires de 250 kg et 63 bombes explosives de 500 kg que les 50 P-47 Thunderbolt lâchèrent sur le quartier de la gare. Un nombre de bombes qui serait deux fois supérieur à celui emporté lors de l’attaque du 28 mai, si, comme nous le supposons, une seule escadrille prit part à l’attaque ce jour-là. Une attaque qui se produisit sans qu’aucune alerte n’ait sonné. Sœur Jeanne n’oublie pas en effet de rappeler que « la sirène sonna l’alerte... après l’alerte ! ». C’est dire combien ce premier raid prit au dépourvu la population domfrontaise. Mais, en effectuant un bombardement de précision sur un quartier de la ville encore assez peu fréquenté à cette heure matinale, les aviateurs alliés parvinrent à limiter à la zone cible les dégâts infligés par leur attaque soudaine.

« Après 17h, constate Sœur Jeanne, deux avions argentés se contentaient de virevolter à différentes hauteurs – assez longuement, il est vrai – avant de s’en retourner comme ils étaient venus ». Il s’agit, selon toute probabilité, de deux chasseurs North American P-51 Mustang (au fuselage métallique à base d’alliages d’aluminium), transformés en appareils de reconnaissance photographique. C’est cette version du P-51 (le P-51 F-6C, équipé de deux appareils photographiques K-24) qui était utilisée au sein de la 9th Air Force par le 10th Photographic Reconnaissance Group pour établir le compte-rendu des opérations, en photographiant avec la précision remarquable des Kodak (dont l’un était installé dans le dessous du fuselage des appareils et l’autre, dans le flanc gauche) les cibles détruites, endommagées ou laissées intactes et donc à revisiter.
Un chasseur North American P-51 F-6C Mustang équipé de deux K-24, photographié dans le nord de la France en décembre 1944. En incrustation, un appareil photo Graflex K-24 de l’USAAF et sa position sur le flanc gauche de l’avion. (Coll. U.S. NARA, montage L. Letendre).
Or, au cours de l’examen de ces clichés, il ne put échapper au « Group S-2 » – les officiers d’état-major chargés du renseignement – ce que Germaine Renard avait elle-même relevé : « Les énormes réservoirs à essence, depuis longtemps camouflés par les Allemands, ont été visés, mais sans grand résultat ». D’autres attaques devaient donc être à craindre dans les jours à venir. Et de fait, tous les réservoirs d’essence n’ayant pas été détruits et d’autres objectifs ferroviaires et routiers restant encore à traiter à Domfront pour entraver l’accès des forces allemandes dans la zone sud du futur champ de bataille de Normandie, cette première attaque n’était qu’un commencement.
Vendredi 2 et samedi 3 juin 1944

Les premières victimes civiles
Une première attaque, à valeur égale, est toujours plus dramatique que les suivantes, la population ayant évacué les secteurs menacés ou appris à se ruer dans les abris. Or, dans le cas de Domfront, cela ne se vérifie pas. Pourquoi ? Les Domfrontais étaient-ils inconscients de la menace des bombardements ? Certainement pas, mais ils firent preuve d’insouciance face à l’éventualité du danger aérien. Le dimanche 16 avril 1944, un avertissement fut radiodiffusé par le service français de la BBC, au nom du commandant suprême Dwight D. Eisenhower, prévenant les populations françaises et belges des attaques à venir contre le système ferroviaire : « Tous les points vitaux des chemins de fer en Belgique et en France vont être soumis à de lourdes attaques aériennes au cours des semaines qui suivront. Éloignez-vous du voisinage de ces objectifs ». Pendant les trois semaines qui suivirent, ce message fut transmis au moins quotidiennement et complété, entre autres, par des émissions de Schumann et par des causeries d’intervenants britanniques et français visant à expliquer plus longuement les raisons du « Transportation Plan ».

Certes, écouter clandestinement la BBC était strictement interdit, et depuis le 22 mars 1944, il fut ordonné par voie de presse à tous les habitants des départements du Calvados, de la Manche et de l’Orne de déposer leur poste de TSF dans les mairies avant le 31 mars. Mais comment expliquer que, suite au bombardement du dimanche 28 mai, des établissements hôteliers se trouvaient encore en activité à proximité immédiate de la gare ? Pourquoi des mesures d’évacuation ou de dispersion n’ont-elles pas été prises par les autorités pour protéger la population ? Rappelons que ces mesures d’évacuation relevaient essentiellement du préfet, tandis que les abris étaient de la responsabilité des maires. Or, si une grande partie de la population, par peur, a fui de sa propre initiative le Quartier Notre-Dame, et si l’accès à certains lieux fut interdit du lundi au mercredi, le temps de répertorier et de neutraliser les projectiles non explosés, à partir du jeudi, une certaine activité reprit peu à peu autour de la gare, dans le secteur des hôtels et des restaurants.

Le 30 mai, après la réparation des coupures sur les lignes de Laval à Caen et de Domfront à Alençon, les trains purent de nouveau circuler. Le 2 juin au matin, l’un d’eux entra en gare de Domfront à faible allure, tandis qu’une foule se massait aux portières, curieuse de voir les conséquences du bombardement du dimanche précédent. En fin de journée, alors que des enfants jouaient sur la place de la gare, les adultes poursuivaient leurs activités, comme à l’accoutumée.
Avant-guerre, de jeunes Domfrontais posent à la portière d’un train de voyageurs reliant Laval à Caen. (Coll. D. Yvetot).
C’est à ce moment précis – à 18h40 – qu’un « Group » de deux escadrilles de Republic P-47 Thunderbolt surgit à nouveau au-dessus de la ville. Le travail d’interprétation des photographies de reconnaissance aérienne prises le 28 mai a probablement permis de localiser exactement les réservoirs de carburant laissés intacts. Camouflés, pour certains, dans les jardins et les hangars des établissements du quartier des hôtels et des restaurants, ce secteur devenait inévitablement la cible de l’attaque de l’un des « squadrons », tandis que l’autre se concentrerait une nouvelle fois aux installations ferroviaires. L’objectif n’était pas seulement de détruire les voies de chemins de fer, mais surtout de viser le matériel roulant, les voies de garage, le triage, les ateliers de réparation potentiels, ainsi que les systèmes d’aiguillage et les aiguilles elles-mêmes – tout ce qui nécessitait du temps pour être réparé et qui paralysait le trafic pour une durée prolongée.

Le rapport précédemment cité, rédigé par Sir Trafford Leigh-Mallory et publié dans le Supplement to The London Gazette du mardi 31 décembre 1946, sous le titre « Air operations by the Allied Expeditionary Air Force in N.W. Europe from November 15th, 1943 to September 30th, 1944 », fait état de cette mission du 2 juin 1944 à Domfront. Le maréchal de l’air précise à la page 23 : « On 2nd June, a force of 50 Thunderbolt of the United States Ninth Air Force attacked a fuel dump at Domfront. 54 x 500 lb incendiaries and 63 x 1000 lb. G.P. bombs were dropped and severe damage was caused to this dump ». Traduction : « Le 2 juin, une force de 50 Thunderbolt de la 9th Air Force attaqua un dépôt de carburant à Domfront. 54 bombes incendiaires de 250 kg (500 lb en livres, l’unité de masse anglo-saxonne, abrév. « lb », NDA) et 63 bombes polyvalentes (G[eneral] P[urpose] bombs en anglais) de 500 kg (ou « 1000 lb ») furent larguées, et de graves dégâts furent causés à ce dépôt ».

Comme en témoignèrent MM. Hubert, Paillette et Timothée dans leur récit consigné en janvier 1945 : « Ce bombardement, extrêmement violent, fait avec des projectiles incendiaires, dura environ 25 minutes. Les avions prenaient de la hauteur à tour de rôle en tournant au-dessus de la ville puis piquaient par groupes de quatre sur la gare en lâchant leurs bombes. Ils reprenaient ensuite de la hauteur en tirant des salves de mitrailleuses sur la ville ».

Le bilan de cette attaque fut tragique. Pour la première fois, en effet, on dénombra des victimes parmi la population civile. Huit exactement. Parmi elles, Parmi elles, Marguerite Angelot, parisienne séjournant dans l’un des hôtels de la gare ; Madeleine Bouvet et sa sœur Marthe Chevrier (née Bouvet), gérantes du Buffet de la Gare, qui perdirent la vie alors qu’elles revenaient chercher la caisse du restaurant qu’elles avaient oublié ; Robert Le Guennec, un cheminot de Flers, fauché sur la voie ferrée ; Lucien Poulain, de Champsecret, alors garçon d’écurie, mort à l’Hôtel de France (ses deux jambes arrachées, il succombera le 3 juin sur la route de l’hôpital de Flers) ; Jacques Renucci, un enfant de cinq ans originaire de Paris, réfugié à Domfront, qui perdit la vie sur la place de la gare pendant qu’il jouait sous la surveillance de sa nourrice, Mme Betton ; et enfin Bernard Sigwald, agronome, tué dans le jardin du Sacré-Cœur où il s’était réfugié.

Une huitième victime fut également à déplorer ce même jour, dans un autre secteur de Domfront : Pierre Grare, âgé de 29 ans, un parisien réfractaire au Service du travail obligatoire (S.T.O.), qui se cachait au 3, rue du Chêne-Vert à Domfront avec sa femme, son beau-père et ses trois filles (qui ne survivront pas au raid aérien du 14 juin 1944). Il fut tué sur le coup par les éclats d’une bombe tombée juste devant l’entrée du cimetière de la Croix-des-Landes, à l’ouest de Domfront, près d’un carrefour stratégique situé sur un axe de circulation important (RD 908).

Mme Geneviève Clouard témoigne : « Dans la ville, c’est l’occupation allemande et dans le ciel les avions américains volent bas, tournent, assourdissants et menaçants. Mon père nous ordonne d’aller au plus vite, ma mère, ma sœur et moi, nous cacher dans le seul abri possible le plus proche : oui, c’est le caveau provisoire du cimetière, à 50 mètres peut-être. Pendant ce temps, mon père court à la recherche de ma petite sœur. Elle joue, avec la voisine, de l’autre côté de la rue. À ce moment passe Monsieur Grare, réfractaire au S.T.O., réfugié dans notre ville avec sa famille. À peine la grille franchie par chacun des deux hommes mais en sens inverse, une bombe est larguée. Du caveau, nous la vîmes descendre, énorme, grise, écrasante, recouvrant nos cheveux de terre. Puis les avions s’éloignèrent. Ce fut le grand silence. Nous sortîmes de notre abri. Mon père arrivait, chacun se découvrant vivant, cependant mon père était livide, plus que bouleversé. Il nous explique : Monsieur Grare, à quelques pas de lui, avait été tué, déchiqueté par les éclats de la bombe  » [6].

À ces huit victimes civiles s’ajoutèrent de nombreux blessés, dont une jeune femme, extraite des décombres, gravement atteinte.
Le lundi 5 juin 1944, au cimetière de La-Croix-des-Landes à Domfront, un dernier hommage fut rendu aux victimes des bombardements des 2 et 3 juin, en présence de M. Leguay, préfet de l’Orne, et de M. Belin, premier adjoint au maire, visible de dos sur ce cliché. On y distingue sept cercueils d’adultes et un cercueil d’enfant, celui du petit Jacques Renucci, 5 ans. (Coll. J.L. Bernadeaux).
Sur le plan matériel, les dégâts occasionnés par le bombardement du 2 juin furent considérables. Les voies ferrées furent coupées entre la maison du garde-barrière de la route de Mortain et le dépôt de locomotives. Atteints par des bombes incendiaires, plusieurs wagons de marchandises prirent feu, brûlant comme des torches. De nombreuses bêtes furent tuées dans les champs situés près de la Varenne. La ferme de la Bretonnière et le château de la Raterie furent sévèrement touchés, tandis que le vieux manoir de Chaponnais fut rasé, seul le pigeonnier demeurant debout. Tout le quartier compris entre la rue de la Gare et Pignon-Blanc fut incendié ou démoli : les hôtels-restaurants, la distillerie, un garage automobile, divers établissements de négociants ainsi que de très nombreuses maisons particulières y furent détruits ou très sérieusement endommagés.

Confrontés à une douzaine de foyers d’incendie, les pompiers de Domfront et les hommes de la Défense passive furent totalement dépassés et en appelèrent à leurs collègues de Flers pour les aider à lutter contre les flammes.

De l’hôpital, encore une fois relativement épargné, les malades, les personnes âgées ainsi que les nourrissons de la maternité furent évacués à 22h et emmenés dans trois camions réquisitionnés vers des villages voisins (Perrou, La Chapelle-d’Andaine, Saint-Fraimbault et Lonlay-l’Abbaye).
Le vieux manoir de Chaponnais fut totalement détruit par le bombardement du vendredi 2 juin 1944. (Tronchet, Éditeur).
Du vieux manoir de Chaponnais, seul le pigeonnier, visible à droite sur ce cliché, resta debout. (Gaby, Éditeur).
Le château de La Raterie photographié au tout début du XXe siècle. (Éditeur inconnu).
Le château de La Raterie subit de nombreux dégâts lors du bombardement du 2 juin 1944. (Coll. D. Yvetot).
La façade principale de l’Hôtel de France avant-guerre, après ses travaux d’extension. (Coll. D. Yvetot).
Vue de la façade principale de l’Hôtel de France après le bombardement du 2 juin 1944. Les dégâts sont considérables. (Coll. C. Rottier).
Cette vue de la façade arrière de l’Hôtel de France illustre également l’ampleur des dégâts subis par l’établissement. (Coll. C. Rottier).
Vue d’avant-guerre du secteur des hôtels et restaurants du quartier de la gare. À droite du cliché, on reconnaît l’Hôtel de France (avant ses travaux d’extension), au centre l’Hôtel de la Gare, et à sa gauche le Buffet de la Gare. (Coll. D. Yvetot).
Photographie des années 1920 montrant le personnel et les clients de l’Hôtel de la Gare, savourant un moment agréable dans ce lieu convivial. (Éditeur inconnu).
Une famille pose devant les ruines de l’Hôtel de la Gare, où Lucien Poulain fut grièvement blessé le 2 juin avant de succomber le 3. À proximité se trouvent également les ruines du Buffet de la Gare, où les deux gérantes, les sœurs Madeleine et Marthe Chevrier (née Bouvet), perdirent la vie en revenant chercher la caisse du restaurant qu’elles avaient oubliée. Quant à Marguerite Angelot, il est impossible de déterminer si sa mort a eu lieu dans l’Hôtel de la Gare ou l’Hôtel de France, faute de sources claires. (Coll. D. Yvetot).
Vue des hôtels et des restaurants depuis la rue de la Gare. La terrasse de l’Hôtel de France est visible à droite, tandis qu’au centre, l’Hôtel de la Gare est complètement détruit. À gauche, le Buffet de la Gare présente des dégâts importants. (Coll. D. Yvetot).
Quartier dévasté, vies fracassées, os brisés et chair mutilée, Domfront et ses habitants n’étaient pas au bout de leur calvaire car, comme le remarque Sœur Jeanne, « les réservoirs d’essence ont perdu leur savant camouflage mais à l’exception d’un seul, paraissent absolument intacts ». Ce qui ne manqua pas d’échapper aux avions de reconnaissance photographique qui, une heure après le bombardement, survolèrent une nouvelle fois le secteur pour enregistrer le résultat de l’attaque.

Le lendemain matin, samedi 3 juin 1944, la population se mit à fuir en masse vers la campagne. « Domfront se vide, Domfront s’en va » écrit Germaine Renard. Et bien lui en prit car, un peu après 15h, une troisième attaque de P-47 Thunderbolt, moins violente que celle de la veille, visa de nouveau les voies de chemin de fer, aucune bombe n’étant lâchée sur le Quartier Notre-Dame. Appartenant au 368th Fighter Group du 71th Fighter Wing, ces P-47 étaient rattachés au IX Air Tactical Command de la 9th Air Force. L’un des aviateurs ayant participé à ce raid sur Domfront, le First Lieutenant Clarence E. Staton, pilote au sein du 395th Fighter Squadron (l’une des trois escadrilles de chasse composant le 368th FG, avec les 396th et 397th FS), raconte ainsi dans ses mémoires qu’il revint à sa base AAF-404 de Chibolton (située au nord de Southampton, en Angleterre) avec des pièces de fixation de rails logées dans le nez de son fuselage et dans son moteur ! Une sortie de piqué assurément trop juste.
Le 1st Lt. Clarence E. Staton pose en tenue de combat à côté de son Republic P-47 Thunderbolt baptisé « Stud » (n° de série 42-76169) appartenant au 395th Fighter Squadron du 368th Fighter Group. Le Thunderbolt était armé de huit mitrailleuses de 12,7 mm et pouvait emporter jusqu’à 1135 kg de bombes. (Coll. 368th Fighter Group Association).
Mal légendé, ce cliché montre le P-47 « Stud » avec lequel le 1st Lt. Clarence E. Staton bombarda la gare de Domfront le 3 juin 1944 (et non le « 2-6-44 »). Des pièces de fixation de rails, et non des fragments de bombes (« Bomb fragments »), se logèrent dans le nez de son fuselage et dans son moteur, comme le rapporte le pilote dans ses mémoires, et l’une des pales de son hélice fut gravement endommagée. (Coll. E. N. Bassler).
Cette nouvelle attaque fit une neuvième victime, le Domfrontais Victor Coupel, âgé de 64 ans, courtier en calva, mitraillé alors qu’il circulait imprudemment en camion-citerne sur la route de Mortain. Le soir, le Quartier Notre-Dame fut complètement évacué et seuls quelques veilleurs établirent leur poste dans la conciergerie de l’hôpital, qui fut replié à 3 km sur la commune de La Haute-Chapelle, dans le vieux manoir de la Guyardière
Composé d’un gros corps de logis rectangulaire, cantonné à l’arrière par deux pavillons carrés, le bâtiment principal du manoir de la Guyardière fut transformé en hôpital le 3 juin 1944. Pendant la période d’occupation, les officiers responsables du commandement militaire de Domfront y installèrent une « Kommandantur ». (Gaby, Éditeur).
Sur cette photographie prise depuis la route de « La Petite Philippardière » (RD 820), voisine du manoir de la Guyardière, on mesure la distance qui sépare ce dernier de Domfront, dont on aperçoit le clocher de l’église Saint-Julien, l’Hôtel de ville et le sommet du donjon. De nombreux habitants, parmi lesquels Sœur Jeanne et Germaine Renard, trouvèrent refuge en ce manoir le soir du 14 juin 1944, après le terrible bombardement de 20h. (Photo L. Letendre).

Mardi 6 et mercredi 7 juin 1944

« La bataille suprême est engagée »
La nuit du 5 au 6 juin fut particulièrement mouvementé pour les habitants de Domfront. Au vacarme incessant des avions alliés, dont certains frôlaient les toits des habitations, s’ajoutèrent de violents tirs de mitrailleuses, terrorisant la population. Au lever du jour, à l’heure où les premières troupes alliées partaient à l’assaut des plages, l’aviation prit pour cible des convois allemands près du cimetière de Saint-Front ainsi qu’au Pont-de-Caen. À 8h30, deux locomotives furent mitraillées à la gare, qui subit à nouveau un intense bombardement – le quatrième – vers 13h, pendant vingt minutes. Le Quartier Notre-Dame ayant été évacué, il ne provoqua aucune victime, mais ravagea à nouveau les voies ferrées et transforma en torches des wagons de farine. Toute la journée, montant en ligne, les renforts allemands traversèrent la ville. Le soir, vers 19h, se dirigeant vers le sud, de nombreuses escadrilles alliées – plus d’une centaine d’appareils, d’après Sœur Jeanne – traversèrent le ciel de la cité médiévale, faisant craindre le pire à ceux qui n’avaient pas évacué la ville. La nuit du 6 au 7 juin fut toutefois relativement calme.

Le lendemain, mercredi 7 juin, un nouveau bombardement – le cinquième – s’abattit sur la gare et le Quartier Notre-Dame. Jusqu’alors relativement préservé, l’hôpital fut gravement endommagé, et trois bâtiments – le pavillon des femmes, la maison de l’aumônier et une partie de l’ancien bâtiment principal – furent totalement détruits. Aucun blessé ne fut à déplorer, l’établissement ayant heureusement été évacué dès le soir du 2 juin.
Vue générale du Quartier Notre-Dame prise depuis le parc du château de Domfront, où l’on constate la dangereuse proximité de l’hôpital avec la gare. (Photo LL).
Seconde vue panoramique du Quartier Notre-Dame prise depuis le même endroit. Plus rapprochée, elle permet de distinguer les différents bâtiments de l’hôpital touchés par les bombes ayant débordé leur cible, ainsi que les installations ferroviaires visées par les Republic P-47 Thunderbolt. (Tronchet, Éditeur).
Vue du jardin intérieur de l’hôpital : à gauche, le bâtiment de la chirurgie ; à droite, la chapelle ; et au premier plan, derrière la statue de saint Joseph, protecteur des mourants, la maison de l’aumônier. (Éditeur inconnu).
La chapelle de l’hôpital, identifiable à son clocheton, a été endommagée lors du bombardement du 7 juin. À sa droite, le pavillon des femmes et la maison de l’aumônier sont entièrement détruits, tandis qu’à gauche, le bâtiment de la chirurgie est resté intact. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Au second plan, l’ancien bâtiment de l’hôpital, qui abritait la cuisine, l’intendance, la pharmacie et le logement des sœurs, est éventré. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Décombres du pavillon des femmes et de la maison de l’aumônier. En arrière-plan, le bâtiment de la chirurgie, dont on distingue trois fenêtres et une porte du rez-de-chaussée. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
À gauche, la chapelle délabrée ; au centre, le pavillon des femmes et la maison de l’aumônier détruits ; à droite, l’ancien bâtiment éventré. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Au centre, le pavillon des enfants présente également des signes de délabrement. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Photographiée depuis le jardin privé des sœurs, l’étable de l’hôpital a perdu une partie de sa charpente. Sur ce qu’il en reste, toute la couverture a été soufflée, ne laissant que les chevrons et les liteaux à nu. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Au premier plan, à gauche, on aperçoit la ferme de l’hôpital. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Un hangar de l’hôpital, avec à droite l’un des pignons du pavillon des enfants. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de bâtiments annexes de l’hôpital, gravement endommagés lors du bombardement du 7 juin 1944. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).

Mardi 13 juin 1944

Les B-26 Marauder entrent en action
Du 8 au 12 juin 1944, Domfront connut une période de relative accalmie. Gênée dans ses opérations par de mauvaises conditions météorologiques – les 8, 9 et 11 juin, le plafond trop bas rendit impossible toute opération d’envergure sur la ville –, l’aviation alliée ne se manifesta que très sporadiquement. Les ouvriers de l’Organisation Todt profitèrent de ce répit pour tenter de réparer les dégâts causés par les bombardements des jours précédents. « Le 8 juin au matin, écrit André Rougeyron, une formation importante de travailleurs des entreprises Todt envahit la ville. Ils viennent pour réparer, ou plutôt tenter de réparer les voies ferrées ». Le 12 juin, malgré un « ciel très bleu », comme le rapporte Sœur Jeanne, rien ne se passa.

Le 13 juin, le temps se couvrit à nouveau mais, en début de soirée, cette couverture nuageuse se disloqua suffisamment au-dessus de la région de Domfront pour permettre la reprise des opérations. « Le temps se relève un peu ce soir, écrit Sœur Jeanne. En sortant de table, on entend de nouveau les avions : environ une cinquantaine de chasseurs passe rapidement en direction d’Alençon ». Ces chasseurs, des P-47 Thunderbolt du 404th Fighter Group en mission de reconnaissance armée dans le secteur de Vire et de Domfront, avaient pour objectif la destruction des véhicules sur route et celle des convois ferroviaires. Un peu plus tard, vers 21h, ce furent des bombardiers moyens Martin B-26 Marauder qui entrèrent en action. « Un roulement lourd emplit le ciel , relate Sœur Jeanne, s’amplifie, se fait menaçant. Dans le contre-jour, j’aperçois six escadrilles de forteresses arrivant du sud-ouest, beaucoup plus bas que d’habitude. Elles sont si serrées et avancent avec une lenteur si régulière qu’on les dirait mues par un moteur unique ».

Bimoteurs à ne pas confondre avec les Boeing B-17 Flying Fortress, les fameux quadrimoteurs de la 8th Air Force qui n’intervinrent jamais dans le ciel de Domfront, ces B-26, s’approchant en formation serrée, appartenaient au 387th Bombardment Group (Medium) commandé par le Colonel Thomas M. Seymour. Rattaché au 98th Combat Bombardment Wing du IX Bomber Command de la 9th Air Force, ce groupe de bombardement était basé en Angleterre, sur le terrain AAF-162 de Chipping Ongar, dans l’Essex. Sa mission ce soir-là – la 171e du « Group » – était de nouveau la destruction des dépôts de carburant disséminés dans le secteur de la gare. C’est donc une nouvelle fois au Quartier Notre-Dame que l’aviation américaine allait s’en prendre.

Arrivant du sud-ouest et volant à faible altitude en raison des conditions météorologiques, les appareils se présentèrent dans le ciel de Domfront disposés en « box ». Mise au point à la fin de l’année 1942 par Curtis E. LeMay, le légendaire General (alors Lieutenant Colonel) de la 8th Air Force, cette formation de combat consistait à réunir les avions par groupe de six (appelé « flight ») en les faisant voler par trois en formation en V à des altitudes décalées. Trois « flights » (comptant 18 avions) formaient un « box », les missions de bombardement rassemblant généralement deux ou trois « boxes ». Curtis LeMay estimait que ce genre de formation tactique procurait aux appareils le plus haut degré de protection contre les avions ennemis en les empêchant de s’installer au milieu des bombardiers et en regroupant la puissance de feu défensive. Elle optimisait par ailleurs le bombardement en assurant une plus grande concentration des bombes sur la cible et permettait de réaliser une économie significative de carburant, les avions suiveurs bénéficiant de l’effet d’aspiration généré par ceux de tête.
Film d’une formation de bombardiers moyens
Martin B-26 Marauder. (Coll. U.S. Air Force).
Dans le langage des soldats de l’U.S. Air Force, les « six escadrilles » dont parle Sœur Jeanne correspondent donc à six « flights » formant deux « boxes » et réunissant 36 bombardiers au total. Un nombre d’avions que confirme le témoignage d’André Rougeyron. «  Vers 21h, écrit-il, une formation de 36 appareils bombarda le quartier de la gare, cinq immeubles sont détruits (Poutrel, Maisonnier, Day, Lemonnier et Lecrônier) ; il n’y a pas de victime : depuis longtemps, toute cette zone est évacuée. L’attaque ne s’explique guère, sinon par la présence d’un convoi d’essence dans la cour du garage Poutrel ».

Cette attaque des Marauder était-elle vraiment peu justifiée ? La concession faite par André Rougeyron est importante et suffit à rendre raison de ce raid aérien, car si le convoi allemand était présent dans la cour de ce garage ce soir-là, c’est effectivement parce qu’il abritait l’un des dépôts d’essence servant à ravitailler les forces allemandes en transit dans le secteur. Or, avant et pendant la bataille de Normandie, toute la stratégie aérienne alliée visait à paralyser ce ravitaillement, le pétrole constituant le véritable nerf de la guerre.

D’ailleurs, si l’un des buts du « Transportation Plan » était de mettre à mal le système ferroviaire français (un but atteint puisque, d’après une étude faite après la libération par le bureau scientifique de l’Armée française, sur l’ouest de la France, le trafic ferroviaire déclina au mois de mai 1944, s’effondra à la fin de ce mois et n’était plus qu’à 10 % de sa valeur initiale au 15 juin), ce n’était pas simplement pour retarder le plus possible le mouvement des renforts allemands, c’était aussi et surtout pour les obliger à utiliser davantage les routes et donc à consommer davantage d’essence. Cela au moment même où un autre plan mené parallèlement, le « plan du pétrole » mis au point par le Lieutenant General américain Carl A. Spaatz, commandant les US Strategic Air Forces en Europe, prévoyait la mise hors d’état de fonctionnement des raffineries et des usines de carburant synthétique du Reich par d’autres raids aériens. Une fois le système ferroviaire complètement désorganisé, c’était donc à l’approvisionnement en carburant des forces allemandes que les avions alliés devaient s’attaquer en priorité, le moindre dépôt, si modeste soit-il, devant impérativement être détruit. S’intégrant dans ce plan d’ensemble, le bombardement du 13 juin au soir, qui fut bref – « cela a duré à peine cinq minutes » note Sœur Jeanne dans son Journal –, se trouvait ainsi pleinement justifié.
Photographie prise après le débarquement d’un « flight » de bombardiers moyens B-26 Marauder de la 9th Air Force. On note la présence des bandes d’invasion peintes sur tous les appareils participant à l’opération « Overlord », destinées à éviter toute confusion avec les appareils ennemis. (Coll. U.S. Air Force).
Martin B-26 Marauder du 387th BG. Nous ignorons si cet appareil (n° de série 42-95857, code de fuselage FW-K) fit partie des 36 bombardiers moyens ayant participé à la mission n° 171. Baptisé « Shootin’In », il appartenait au 556th Bombardment Squadron, l’un des quatre groupes de bombardement (avec les 557th, 558th et 559th BS) ayant opéré sur Domfront le 13 juin. Notons que le premier chiffre du numéro de série, représentant l’année de fabrication, est généralement biffé, car redondant. Cela permet aux autres numéros d’être plus grands et plus facilement lisibles en vol. (Coll. U.S. Air Force).
Mis au rebut à l’été 1946 après avoir effectué 135 missions, le « Shootin’In » possède aujourd’hui un double. L’U.S. Air Force Museum de la Wright Patterson Air Force Base de Dayton (Ohio) a en effet acquis un B-26 qu’il a repeint à l’identique. À noter que les bandes noires et jaunes peintes en diagonale sur le stabilisateur vertical servaient à identifier l’unité : le 387th BG. (Coll. USAF Museum).

Mercredi 14 juin 1944

Une erreur lourde de conséquences
Le mercredi 14 juin 1944 fut le jour le plus sombre que Domfront ait connu de toute la bataille de Normandie. C’est en effet à cette date qu’eut lieu le raid aérien le plus meurtrier de tous ceux subis par la cité, provoquant la mort de vingt-sept personnes – des victimes civiles dont nous avons évoqué le souvenir dans la première partie de cette étude – et infligeant à la ville des dégâts matériels considérables.

Les récits vécus de Germaine Renard et d’André Rougeyron, ainsi que le Journal de Sœur Jeanne, ont parfaitement restitué l’atmosphère de terreur et le spectacle de désolation engendrés par ce bombardement. Il n’entre pas dans nos intentions d’en proposer ici un résumé. Nous préférons nous concentrer sur un document d’archives militaires américain récemment déclassifié selon l’« Executive Order 13526 – Classified National Security Information » signé par Barack Obama le 29 décembre 2009, lequel apporte un éclairage nouveau sur cette tragique journée du 14 juin.

Nous ayant été aimablement communiqué par Stéphane Robine (des Archives départementales de la Manche) et son réseau de connaissances aux U.S.A., ce document d’archive est un extrait d’un rapport d’activité de la 9th Air Force conservé à Montgomery (Alabama) par l’Air Force Historical Research Agency (AFHRA), dépositaire des archives historiques de l’U.S. Air Force. Il présente les missions menées le 14 juin 1944 dans le ciel normand par plusieurs groupes de bombardement : les bombardiers moyens Marauder du 387th BG sur Ambrières-les-Vallées, ainsi que les bombardiers légers Havoc du 410th BG sur Vire et du 409th BG sur Flers.
Rapport d’activité de la 9th Air Force,
Declassified IAW, Executive Order 13526,
Série CO-O70, page D-2.
(AFHRA)
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Rapport d’activité de la 9th Air Force,
Declassified IAW, Executive Order 13526,
Série CO-O70, page E-2.
(AFHRA)
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La nature des objectifs visés par ces missions est clairement mentionnée : il s’agissait à chaque fois de nœuds routiers (« road junctions ») ou de points de passage obligés (« choke points »). Ces attaques, destinées à entraver les déplacements des troupes allemandes, s’inscrivaient également dans le cadre du « Transportation Plan », lequel ne se limitait pas aux infrastructures ferroviaires mais comportait aussi un volet routier.

Dès janvier 1944, après consultation de Montgomery, l’Air Chief Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory envisagea ainsi d’« aplanir (« flatten out », en angl.) les principaux centres de communication routière comme Lisieux, Falaise, Caen, Saint-Lô et Carentan » [7]. L’objectif était d’empêcher d’importantes formations ennemies d’atteindre la zone du débarquement en moins de 24h. Cette stratégie se concrétisa le 29 mai avec l’établissement d’une liste de cibles prioritaires devant être attaquées le 6 juin afin de ralentir tout mouvement routier : Villers-Bocage, Saint-Lô, La Haye-du-Puits, Coutances, Thury-Harcourt, Lisieux, Falaise, Condé-sur-Noireau, Vire, Flers, Argentan et Pont-l’Évêque. Après le débarquement, ce programme se poursuivit. La ville de Flers, déjà frappée le 6 juin à 19h45 par un bombardement dévastateur visant la gare et le centre-ville – 26 Boeing B-17 Flying Fortress de la 8th Air Force y larguèrent 73,3 tonnes de bombes, causant la mort de 97 personnes –, devait à nouveau être prise pour cible. Mais, le soir du 14 juin, le déroulement des opérations prit une tournure inattendue, au grand malheur de Domfront et de ses habitants.

38 bombardiers légers A-20 Havoc du 409th BG basé en Angleterre sur le terrain AAF-165 de Little Walden, dans l’Essex, et composé des 640th, 641st, 642nd et 643rd Bombardment Squadrons, furent mobilisés pour cette mission du 14 juin sur Flers. La ville avait déjà subi plusieurs bombardements : d’abord dans la nuit du 7 au 8 juin, puis du 11 au 12 juin, détruisant des immeubles et touchant des quartiers jusque-là épargnés. Les 13 et 14 juin en journée, les attaques aériennes reprirent, frappant notamment la Place Centrale (ou Place des Cinq Becs, aujourd’hui Place du Général-de-Gaulle), principal nœud routier du cœur de la cité. Si ces frappes causèrent d’importants dégâts matériels, elles ne firent qu’une seule victime – un mort de trop –, la population ayant largement évacué la ville. Flers s’apprêtait alors à subir un nouvel assaut des bombardiers, venus parachever leur œuvre destructrice. Mais une erreur en décida autrement.

Personnels au sol et équipages des quatre escadrilles formant le 409th Bombardment Group (Light). (Coll. 409th Bomb Group Association, montage L. Letendre).
Examinons attentivement la section du rapport d’activité de la 9th Air Force relative à la mission du 409th BG sur Flers. On y lit : « Through a personnel error in lead aircraft, Box I, Domfront was mistaken for Flers and bombed ». Traduction : « Par une erreur personnelle de l’avion-leader du Box I, Domfront a été pris pour Flers et bombardé ». Les officiers du renseignement du 409th (le « Group S-2 ») rapportent que la couverture nuageuse sur l’objectif initial (Flers) était maximale (10 sur 10) mais que le temps ne fut toutefois pas responsable de l’attaque sur la cible d’occasion. (« Group S-2 reported 10/10ths cloud over primary, however weather was not responsible for the attack on a target of opportunity »).

La ville de Domfront prise par erreur pour la « cible principale » (« primary » [target]) et se transformant en « cible d’occasion » (« target of opportunity »), c’est-à-dire, en langage militaire, un objectif non prévu dans la mission, ni planifié ni demandé – quelle découverte ! Jamais cette « erreur » n’avait été révélée. Nous qui pensions que, depuis soixante-dix ans, tout avait été dit ou écrit sur la bataille de Normandie, nous voilà persuadé du contraire. Alors que cette période historique s’éloigne un peu plus chaque jour, on se rend compte que sa connaissance peut encore s’affiner, notamment parce que de nouveaux éléments de recherche ou d’investigation – à l’image de ce rapport d’activité de la 9th Air Force déclassifié le 31 décembre 2009 – émergent enfin des fonds d’archives militaires.

Pourquoi d’ailleurs ce rapport a-t-il été déclassifié si tardivement ? Était-ce pour garder secrète l’« erreur » le plus longtemps possible ? On sait combien la moralité des bombardements alliés sur les populations civiles a suscité de vifs débats. Aujourd’hui, selon la législation en vigueur – les conventions de Genève de 1949, notamment le premier protocole additionnel signé en 1977, ainsi que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale adopté en 1998 –, de tels bombardements seraient considérés comme des « crimes de guerre ».

Sans entrer dans de tels débats qui dépassent le cadre de cette étude, nous constaterons seulement que si, comme nous l’avons remarqué précédemment, le volet ferroviaire du « Transportation Plan » a atteint ses objectifs en paralysant le système ferroviaire français, jouant ainsi un rôle bien réel dans la réussite de l’opération « Overlord », le bilan du volet routier est en revanche plus nuancé. On peut même affirmer qu’il n’a pas atteint ses objectifs, car si les bombardements ont bien rempli de gravats les rues des villes, ils ont eu peu d’effets sur les mouvements ennemis, des détours ayant été facilement établis.

Ainsi, après le bombardement de Domfront le 14 juin, pour traverser la ville d’ouest en est (en venant de Mortain, par exemple), les convois allemands passaient par la rue Montgomery, la Place de la Roirie, la rue Clément Bigot, celle de la Poterne et celle du Champ de Foire, avant de rejoindre la route de La Ferté-Macé ou celle d’Alençon. L’allongement ne faisait qu’une centaine de mètres. Et vers le 20 juillet, les ouvriers de l’Organisation Todt ayant déblayé les décombres de la rue de la République et de celle du Maréchal-Foch, les convois recommencèrent à circuler normalement, n’empruntant plus l’itinéraire indiqué ci-dessus. Faut-il en conclure, comme MM. Hubert, Paillette et Timothée dans leur récit, que le bombardement du 14 juin « ne servit absolument à rien sauf à anéantir toute une partie de la ville » ? Sans doute eurent-ils été plus amers encore s’ils avaient su qu’il était le résultat d’une erreur de navigation.

Bien que l’erreur du 14 juin incombe clairement au bombardier-navigateur de l’avion-leader du Box I, la véritable origine de cette méprise reste floue. Si les conditions météorologiques ne sont pas en cause, s’agit-il alors d’une mauvaise transcription des coordonnées géographiques de Flers en degrés-minutes-secondes, calculées selon le système géodésique WGS 84 ? Le rapport ne l’explique malheureusement pas. En revanche, il détaille avec précision l’exécution de l’opération et les résultats obtenus. Reprenons-en méthodiquement la lecture.

Au cours de cette mission du 409th BG, qui regroupa sans doute des avions appartenant aux différentes escadrilles formant le groupe de bombardement, deux appareils (« aircraft » en angl., abrév. «  a/c ») ne larguèrent pas leurs bombes (« 2 a/c failed to bomb »), : l’ un en raison d’une défaillance mécanique («  a mechanical failure ») et l’autre, un avion de réserve (« spare », en angl.), effectua un retour anticipé à la base («  1, spare, early return »). Conformément à la procédure standard, lors d’une mission mobilisant deux « boxes » de A-20 Havoc, deux appareils étaient prévus en réserve. Ils décollaient avec la formation et l’accompagnaient jusqu’à la Manche, prêts à remplacer un avion défaillant, puis retournaient à la base si aucun remplacement n’était nécessaire. Un seul appareil ayant eu besoin d’être remplacé, le second avion de réserve fit donc demi-tour sans intervenir.

Parvenus au-dessus du sol normand, deux bombardiers légers furent endommagés par des tirs de la « flak » (la défense anti-aérienne allemande), sans toutefois enregistrer de pertes humaines (« no losses, casualties »). Dans le secteur de Cabourg, trois « FW-190 » et un « ME-109 » (les redoutables Focke-Wulf Fw 190 et Messerschmitt Bf 109 de la chasse allemande) furent aperçus. Le ME-109 s’approcha à environ 550 mètres (« 600 yards ») mais renonça à engager le combat (« failing to press attack »), un Havoc tirant une cinquantaine de balles à l’approche de l’avion ennemi (« enemy aircraft », abrév. « e/a ») sans que le résultat puisse être observé. Il n’y eut aucune victoire revendiquée (« no claims ») des deux côtés.

Le bombardement s’effectua à une altitude de « 12 000-12 350 » pieds (soit entre 3657 et 3764 mètres d’altitude). Équipé du viseur Estoppey D-8 fabriqué par National Cash Register Inc., la version J du A-20 était capable d’atteindre des objectifs précis depuis une altitude moyenne. Précisons en effet que deux versions de Havoc étaient en service au sein du 409th BG : le A-20G et le A-20J. Le A-20G, avec son nez rigide, était équipé de quatre mitrailleuses Browning de calibre 50 (12,7 mm) et comptait trois membres d’équipage : un pilote, un mitrailleur de tourelle et un mitrailleur arrière. Le A-20J, quant à lui, se distinguait par un nez en plexiglas qui abritait le poste du bombardier-navigateur. Ce dernier, en plus des autres membres d’équipage, était chargé de préparer le plan de vol, d’assurer la navigation et, une fois la cible acquise, de donner au pilote l’ordre de larguer les bombes au moment optimal. Utilisé par les leaders de chaque « flight », l’A-20J guidait les A-20G, qui synchronisaient leurs bombardements sur celui du leader.
Le viseur Estoppey D-8 équipant les Douglas A-20J Havoc et sa caisse de transport. (Coll. National Air and Space Museum).
Équipant également les North American B-25 Mitchell ainsi que les Douglas A-26 et B-26 Invader, cet instrument d’optique était conçu pour les bombardements de basse et moyenne altitude, tandis que le Norden M9, embarqué à bord des Martin B-26 Marauder, des Boeing B-17 Flying Fortress et des Boeing B-29 Superfortress, ainsi que le Sperry S, utilisé notamment sur les Consolitated B-24 Liberator, étaient destinés aux bombardements à haute altitude. (Coll. U.S. Air Force).
Un « flight » de six Douglas A-20J et G Havoc larguant des bombes de 500 lb GP AN-M64. Il est à noter que l’avion leader est toujours un A-20 de type J. Une fois que le bombardier-navigateur, installé dans le nez en plexiglas incliné de l’appareil, a localisé la cible à l’aide du viseur Estoppey D-8, il donne l’ordre par radio au pilote d’effectuer le largage, et les cinq autres appareils, des A-20G au nez en dur, procèdent immédiatement à leur propre largage. (Coll. C. Sgamboti).
Le nez tôlé d’un A-20G dans lequel étaient logées quatre mitrailleuses calibre 50 (12,7 mm), deux autres étant installées sous le nez, comme sur l’A-20J. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Recouvert ici d’une housse de protection, le viseur de bombardement était installé dans le nez vitré du A-20J, où opérait le bombardier-navigateur. (Coll. F.J. Cachat).
C’est à ce poste que l’erreur de navigation fut commise par l’avion-leader du Flight I du Box I. (Coll. F.J. Cachat).
Lors de cette mission du 14 juin 1944, sur les 38 appareils mobilisés (« 38 a/c dispatched »), « 36 » larguèrent 183 bombes explosives de 250 kg modèle AN-M64 (« 183 G (eneral) P (urpose) » [bombs] de « 500 » lb). Un bombardement somme toute de faible intensité quand on compare les 45,75 tonnes de bombes larguées aux 2276 déversées sur Caen pendant la seule nuit du 7 au 8 juillet 1944, ou aux 9 790 sur Le Havre entre le 5 et le 11 septembre – des attaques massives ayant chacune causé plus de deux mille victimes.

Le rapport fait état « box » par « box » des conditions dans lesquelles ce bombardement s’est déroulé et évalue ses performances.

En ce qui concerne le Box I, les conditions météorologiques au moment du bombardement sont qualifiées d’exécrables (« Gross »), tandis que l’efficacité de l’attaque est jugée correcte (« Fair »). Le secteur visé est présenté comme étant la partie ouest d’une zone de stationnement dans le secteur est de Domfront (« the W part of a park area in E section of Domfront »). Cette zone, située à proximité immédiate de la rue du Pressoir, se trouvait à une centaine de mètres à l’est de l’objectif principal visé par les Havoc du Box I : l’intersection des rues du Maréchal-Joffre (RD 908) et du Maréchal-Foch (RD 976). La concentration des bombes est évaluée comme ayant été bonne (« Good concentration »), mais elles furent centrées au niveau de la rue de la République et du Grand Carrefour, soit à environ 260 mètres à l’ouest du point principal d’impact souhaité à Domfront, elle-même située à 23 km au sud-sud-ouest de la cible initiale (« centered 850 feet West of the desired M.P.I. [main/mean point of impact, NDA] at Domfront, 14,5 miles South-Southwest of primary »). Des coups au but sont relevés sur la route secondaire nord-sud (l’actuelle RD 962 menant à Flers) ainsi que sur la route principale est-ouest reliant Paris à la Bretagne via Alençon (RD 976). Trois cratères (« three craters ») sont constatés sur la route principale et un sur la route secondaire. De nombreux impacts sont également signalés sur les immeubles attenants à l’intersection (« numerous strikes on buildings adjacent to intersection »).

Quant au Box II, les conditions météorologiques rencontrées lors du bombardement sont notées comme ayant été similaires à celles du Box I, et le résultat du bombardement est également jugé comme ayant été correct. Le secteur visé correspondait à un espace carré ouvert situé près du centre de Domfront (« an open square near center of Domfront »), précisément le Carrefour du Pissot, un important nœud routier situé au nord de la commune. La concentration des bombes est également jugée bonne, bien qu’elles aient été centrées à environ 244 mètres au nord du point principal d’impact souhaité (« centered 800 feet North of desired M.P.I. »). Des coups au but sont considérés comme possibles à l’intersection des routes secondaires nord-sud et des routes principales est-ouest (« possible direct hits on intersection N-S secondary and E-W main roads »). La plupart des coups sont relevés comme ayant frappés les champs au nord, touchant de petites habitations (« most strikes in fields to North, covering small buildings »).

Le bombardement débuta vers 20h. L’intersection visée par le Box I, située au cœur de la cité, subit un bombardement de 7 minutes, comme l’a rapporté Germaine Renard. Une telle attaque ne pouvait que frapper le dense tissu urbain environnant. Il ne s’agit donc ni d’une bavure ni d’un accident, mais d’une conséquence inhérente à ce type de bombardement, effectué à une altitude moyenne et entraînant inévitablement une dispersion des projectiles. On peut néanmoins reprocher aux bombardiers d’avoir évolué à une altitude trop élevée, étant donné l’absence de défense anti-aérienne. Un passage à plus basse altitude, comme cela se produisit le 15 juin (nous le verrons) lorsque les Havoc du 416th BG attaquèrent le secteur du Quartier Notre-Dame entre 2 500 et 3 000 pieds (soit entre 762 et 914 mètres), aurait probablement permis un bombardement plus précis. Si maintenant l’objectif (inavoué) de ce type de bombardement était moins de créer des cratères sur les voies de circulation que d’amonceler des ruines obstruant ce qui avait été une rue – ce qui reviendrait à faire bien peu de cas de la vie humaine – alors on peut dire qu’il a atteint son but.

En effet, après le passage des deux formations de bombardiers, le Grand Carrefour, la rue des Barbacanes, le début de la Grande Rue, la rue de la République, le début de la rue des Fossés-Plisson, ainsi que presque toute la rue du Maréchal-Foch jusqu’à l’intersection des routes de La Ferté-Macé et d’Alençon (RD 908/RD 976), la rue d’Enfer, une grande partie de la rue du Chêne-Vert et l’entrée du Champ de Foire n’étaient plus qu’un amas de ruines. Sur le versant nord de la ville, à proximité du Carrefour du Pissot, plusieurs maisons situées Place Saint-Julien, rue Clément-Bigot et ruelle des Buttes, ainsi que le nouveau presbytère, furent détruits, tandis que d’autres furent ravagées par l’incendie quelques heures plus tard.

Toute la nuit, on retira les morts et les blessés qui gisaient sous les décombres. On les conduisit à un poste de secours établi à la mairie par M. Belin, premier adjoint, et M. le Docteur Lévesque. Après les premiers soins, on emmena les blessés vers le manoir de la Guyardière où l’hôpital de Domfront avait été transféré à la suite des bombardements successifs du quartier de la gare. L’affolement était tel que plus personne n’osait circuler dans la ville. Les victimes furent enterrées – du moins celles que l’on retrouva alors – dans divers jardins, notamment celui de l’ancien presbytère, à la Juvinière, et celui du docteur Rémon-Beauvais, tant il était dangereux de risquer le trajet jusqu’au cimetière de La-Croix-des-Landes.

Des images de ce bombardement du mercredi 14 juin 1944, si tragique pour tant de familles, ont été fixées sur la pellicule. Certaines ont déjà été présentées dans la première partie de cette étude. Nous en proposons d’autres ci-dessous, regroupées secteur par secteur, sous la forme d’un album photo, en hommage aux vingt-sept victimes de ce raid aérien, ainsi qu’à ceux qui, dans leur cœur, souffrirent en perdant des êtres chers.

Pour mesurer l’ampleur des destructions infligées à la ville, nous présentons en contrepoint plusieurs photographies de Domfront prises avant la guerre. Principalement issues de cartes postales anciennes, ces images sont précieuses pour se représenter la configuration des lieux avant qu’ils ne soient frappés de plein fouet par le bombardement.
Vue aérienne de Domfront prise le 17 août 1944 par les Américains, avec la localisation des six secteurs de la ville présentés ci-dessous. (Coll. U.S. NARA, détail, annotations L. Letendre).
[1] - Secteur du Grand Carrefour
Photographie du tout début du XXe siècle de la rue du Maréchal-Foch (anciennement rue d’Alençon), prise en direction du Grand Carrefour, de la Grande Rue et de la Tour d’Alençon, dont le sommet est visible derrière l’Hôtel du Commerce. Cet hôtel, après avoir porté quelques années le nom d’Hostellerie du Donjon, sera rebaptisé Hôtel du Donjon jusqu’à sa destruction en juin 1944. (Éditeur inconnu).
Les mêmes lieux après que le désastre se soit abattu sur la ville. Des monceaux de ruines obstruent la rue. L’hôtel, ainsi que la petite échoppe construits au pied de la Tour d’Alençon, sont écrasés. (Coll. L. Letendre).
Cliché du tout début du XXe siècle montrant la rue de la République, prise en direction du sud. Au premier plan à droite, à l’angle nord de la rue des Fossés-Plisson, on aperçoit l’entrée de l’Hôtel du Commerce. À l’angle sud, le café Chauvin est visible, un établissement qui sera par la suite occupé un temps par un bureau de la Société Générale avant d’être à nouveau transformé en café, baptisé La Terrasse en 1944. (Tronchet et Chevrier, Éditeurs).
Le Bureau de la Société Générale dans l’entre-deux-guerre à l’angle de la rue de la République et de celle des Fossés-Plisson. D’abord occupés par le café Chauvin, les locaux furent ensuite rachetés par André Lafontaine et à nouveau transformés en café, baptisé La Terrasse en 1944. (Éditeur inconnu).
Au débouché de la rue des Fossés-Plisson, au beau milieu de la rue de la République, on distingue l’un des trois cratères relevés par le rapport de la 9th Air Force sur la « route principale ». L’homme qui l’observe donne une idée de la taille de l’entonnoir. L’immeuble situé à proximité, à l’angle sud de la rue des Fossés-Plisson et de la République, abritant le café Chauvin (rebaptisé La Terrasse en 1944), est foudroyé. À l’arrière-plan, la maison du grossiste en épicerie et en carburant, André Timothée, a échappé au bombardement. Au soir du 14 juin, à 19h, accompagnée de sa fille et de son employée, Germaine Renard y dîna dans la cave en compagnie de la famille Timothée. Ils y endurèrent le bombardement de 20h avant de fuir vers le manoir de la Guyardière. (Coll. L. Letendre).
Sur ce cliché de la rue des Fossés-Plisson déjà présenté dans la première partie de cette étude, on reconnaît, à gauche, l’emplacement du café La Terrasse avec, au sol, l’un des éléments en fer forgé de son balcon (aisément reconnaissable sur les seconde et troisième cartes postales), lequel donnait, au premier étage, sur la rue de la République. La maison adjacente, encore intacte, est celle qui appartenait alors à Mme Trouillard. (Coll. L. Letendre).
Autre vue des ruines du café La Terrasse, où l’on aperçoit à nouveau, au sol, l’un des éléments en fer forgé de son balcon. (Coll. L. Tarot).
Tenancier du café La Terrasse rue de la République, André Lafontaine décédera quatre jours après le bombardement du 14 juin 1944 des suites de ses blessures, à l’âge de 35 ans. On le voit ici heureux, prenant la pose avec sa femme pour leurs photos de mariage. Un bonheur bientôt brisé par la cruauté de la guerre. (Coll. O. Leverrier).
En poursuivant vers le bas de la rue de la République et en s’engageant dans la rue du Mont Margantin, on accède (presque à hauteur de la maison Timothée) à La Marotte, la maison de Gabriel Hubert et Germaine Renard, photographiée ici avant-guerre. (Coll. J. Hubert).
« Pauvre Marotte ! » soupira Germaine Renard en revenant chercher quelques effets personnels le 17 juin. La maison est ici photographiée du coté du pignon nord de la façade principale. « Trois entonnoirs occupent la superficie du jardin ; trois autres bombes tombées le long de la maison en ont éventré le mur arrière qui est en partie écroulé. Ma chambre est à claire-voie sur le jardin ; la salle de bain n’a plus qu’une paroi. Un chapelet de projectiles s’est égrené là, dont les entonnoirs se touchent et se suivent, en direction de la rue d’Enfer ». (Coll. J. Hubert).
Vue du pignon sud de la façade principale de La Marotte. La porte bloquée, Germaine entra par la fenêtre, y découvrant les fruits d’une vie de labeur brisés, arrachés, éclatés, aplatis, éparpillés, écroulés. Tout y était sens dessus dessous, « un long et lourd morceau des bordures de ciment qui encadraient les plates-bandes du jardin » se retrouvant même projeté dans la chambre à coucher. (Coll. J. Hubert).
Photographie prise en direction du nord, dans un secteur de la ville où fleurissaient des jardins luxuriants ; on y aperçoit « les entonnoirs [qui] se touchent et se suivent, en direction de la rue d’Enfer » dont parle Germaine Renard. La Marotte se situe à l’extrême-gauche du cliché. (Coll. D. Yvetot).
La façade arrière et le pignon sud de La Marotte (entourée par un cercle) furent très durement touchés, beaucoup plus que la façade principale présentée sur les deux clichés précédents. La position du photographe et l’angle de prise de vue qu’il adopta sur « cette région lunaire où ne règnent plus que la stérilité et la mort », comme dit Germaine Renard, sont matérialisés par une icône et une flèche. (Coll. U.S. NARA, détail, annotations L. Letendre).
En remontant la rue de la République, on découvre la publicité peinte sur le pan de façade encore debout de l’immeuble où André Lafontaine fut grièvement blessé avant de succomber, avec, au pied, un poteau indicateur signalant le danger qu’il représente, et sur l’hôtel, le dernier nom que l’établissement ait porté : l’Hôtel du Donjon. Au centre, mains sur les hanches, les Domfrontais ont très certainement du mal à réaliser ce qu’il s’est passé. Ayant perdu en un instant tous les repères de leur vie quotidienne, ils sont brutalement entrés dans un autre monde. (Coll. D. Yvetot).
En adoptant un plan plus serré et en se plaçant au niveau même du cratère, on aperçoit, au premier plan à gauche, le pan de façade encore debout, juste derrière lequel se trouve l’Hôtel du Donjon. Son aile sud n’est pas complètement détruite, contrairement à l’aile nord, mais elle est néanmoins terriblement endommagée. À l’angle de la rue du Maréchal-Foch, l’immeuble a disparu, tandis que celui aux balcons en bois a résisté, bien que l’étage supérieur et le troisième balcon aient été détruits. L’intérieur de cet immeuble a été ravagé par les flammes le 15 juin, tout comme l’immeuble adjacent et le bureau de recrutement de la sinistre L.V.F. (visible à l’extrême droite de la photo). (Coll. D. Yvetot).
Vue prise avant-guerre depuis la rue des Fossés-Plisson du bâtiment aux trois balcons de la rue de la République. (Éditeur inconnu).
Plus récente que les deux premières présentées précédemment, cette carte postale montre l’ensemble de l’Hôtel du Donjon, mettant particulièrement en évidence son pignon nord, totalement anéanti lors du bombardement du 14 juin. Il est à noter qu’après avoir été baptisé Hôtel du Commerce, l’établissement fut renommé Hostellerie du Donjon, avec un auvent de porte remplacé et le bec de gaz supprimé. L’établissement changea ensuite une nouvelle et dernière fois de nom pour adopter celui d’Hôtel du Donjon. On remarque également que le café Chauvin n’est plus en exploitation et a été remplacé par un bureau de la Société Générale. (Le Meur, Éditeur).
L’Hôtel du Donjon tel qu’il était au début des années 1930, alors que M. Berson en était le nouveau propriétaire. (Photo Courtot).
Vue de la salle de restaurant de l’Hôtel du Donjon. André Guillemois, le cuisinier de l’établissement, né le 28 mai 1920 à Romillé (35) et domicilié à Domfront, perdit la vie au cours du bombardement du 14 juin 1944. Son corps fut découvert dix jours plus tard par une équipe de jeunes de l’équipe de secours de Deauville et identifié grâce à aux papiers qu’il portait sur lui. (A. Breger Frères, Éditeur).
Prise en haut de la rue de la République, la vue qu’offre cette carte postale montre le Grand Carrefour tel qu’il était au tout début du XXe siècle, du temps de l’Hôtel du Commerce. (Éditeur inconnu).
Le même lieu après le bombardement du 14 juin. Les habitants circulent difficilement parmi les décombres des immeubles ravagés, passant devant les ruines de l’Hôtel du Donjon, où périrent plusieurs soldats allemands ainsi qu’André Guillemois. Notons qu’à l’angle de la rue du Maréchal-Foch et de celle des Barbacanes, un bureau du Crédit du Nord, protégé par des barreaux aux fenêtres, occupait les locaux où, au début du XXe siècle, se trouvait un magasin de machines à coudre. (Coll. L. Letendre).
Le bâtiment en pierre de trois étages situé à l’angle de la rue de la République et de celle du Maréchal-Foch n’a pas résisté au déluge de bombes. (Coll. L. Tarot).
Au pied de la tour d’Alençon, en regardant vers le bas de la rue de la République, on distingue à droite les ruines de l’Hôtel du Donjon ainsi que le pan de façade encore debout de l’immeuble où André Lafontaine fut grièvement blessé avant de succomber. (Coll. D. Yvetot).
Cette autre carte postale offre une belle vue sur la Grande Rue, dominée par le clocher en béton de l’église Saint-Julien et filant entre l’Hostellerie du Donjon, adossée à la Tour d’Alençon, et le bâtiment situé à l’angle de la rue des Barbacanes, abritant alors une librairie-papeterie. (Photo L.L.).
Sur cette photographie prise le 14 août 1944 par un reporter-photographe de guerre américain du Signal Corps, les deux bâtiments à l’entrée de la Grande Rue ont quasiment disparu. Seuls quelques pans de murs noircis du bâtiment de droite se sont maintenus, d’où émerge une poutrelle métallique ayant très certainement servi à étayer le plancher du premier étage. Juste derrière, la maison Christiany est gravement touchée. (Coll. U.S. NARA).
À proximité immédiate de la Tour d’Alençon, alors que le déblayage complet des principaux axes routiers de Domfront n’a pas encore été effectué par le Génie américain et que des gravats obstruent toujours l’accès à la Grande Rue, un panneau indicateur placé par les autorités américaines précise que la route du Grand Carrefour est réservée au trafic militaire. (Coll. D. Yvetot).
Au pied de la Tour d’Alençon, après que le Génie américain a procédé au déblayage complet des deux axes majeurs traversant Domfront – l’axe nord-sud Caen-Laval (RD 962, anciennement N 807) et l’axe est-ouest Paris-Bretagne via Alençon (RD 976, anciennement N 162) – et alors que la ville connaît un trafic incessant de véhicules de l’armée américaine, un panneau informe la population que leurs conducteurs ne prendront aucun civil à leur bord. (Coll. D. Yvetot).
Sur ce cliché pris depuis le débouché de la rue des Barbacanes, on retrouve la poutrelle métallique de la photographie précédente, avec, à l’arrière plan, la Tour d’Alençon dont la base a également souffert. (Coll. D. Yvetot).
En prenant du recul et de la hauteur, juché sur les ruines d’un immeuble situé rue des Barbacanes, on aperçoit, à travers des aiguilles de pierre et des cheminées, la Tour d’Alençon, la poutrelle métallique, la maison Christiany, et, à gauche du cliché, la toiture effondrée de l’Hôtel du Donjon. (Coll. D. Yvetot).
Photographie prise après la Première Guerre mondiale, la rue d’Alençon ayant été débaptisée et renommée rue du Maréchal-Foch. Le véhicule présent au milieu de la chaussée pavée se situe à hauteur de la rue du Chêne-Vert et de la rue d’Enfer. (Photo L.L.).
Vue des lieux après le bombardement du 14 juin. La rue est défigurée, meurtrie, totalement méconnaissable. Dans ses ruines furent ensevelies de nombreuses victimes dont certains corps – ceux des sœurs Florentine et Marie Plessis – ne furent retrouvés que le 19 juillet 1944. À gauche de ce cliché, à l’angle de la rue des Barbacanes et de celle du Maréchal-Foch, se tient ce qu’il reste du Crédit du Nord. Au centre, on aperçoit un véhicule garé à hauteur de la rue du Chêne-Vert et de la rue d’Enfer. (Coll. L. Tarot).
Sur cette photographie, déjà présentée dans la première partie de cette étude, le camion visible au centre du cliché précédent, jusqu’alors stationné sur le bas-côté de la rue du Maréchal-Foch, entame un demi-tour, toutes les rues du secteur étant obstruées. Savamment camouflé de branchages pour échapper à la vigilance des aviateurs alliés, ce véhicule est très certainement allemand. Quelque soit la direction qu’il veuille prendre, il ne lui fallait qu’une poignée de minutes pour contourner l’obstacle. (Coll. L. Letendre).
La rue du Maréchal-Foch photographiée dans les années 1930. Au premier plan à droite, la maison avec le balcon est celle du docteur Rémon-Beauvais. (Archives municipales de Domfront).
À l’été 1944, le spectacle est désolant. L’hôtel-restaurant À la Crémaillère de Mme Clémentine Guérin – tuée le 14 juin côte de La Raterie – a été touché avant d’être dévoré par les flammes. (Coll. L. Chevallier).
En un autre temps, il y faisait bon vivre et manger, comme en témoigne ce menu servi le 28 avril 1935 lors du banquet des pécheurs à la ligne du canton de Domfront et de Passais-la-Conception. (Coll. B. Douettée).
Jeune veuve et propriétaire de l’hôtel-restaurant À la Crémaillère, Clémentine Guérin (à g.) est photographiée à l’été 1943, conduisant ses clients à la gare de Domfront au pas de sa jument « Vermouth ». Elle sera tuée le 14 juin, côte de La Raterie, probablement par une bombe ayant manqué sa cible. (Coll. E. Guérin).
Carte d’identité scolaire d’Ernest Guérin signée par M. Antoine, successeur de M. Herlemont à la direction du Collège de Domfront. Ayant perdu son père avant-guerre, Ernest est un orphelin du 14 juin. (Coll. E. Guérin).
Ernest Guérin étudiant consciencieusement dans l’une des salles de classe du Collège de Domfront. (Coll. E. Guérin).
À quelques mètres de l’hôtel-restaurant de Clémentine Guérin, la maison du docteur Rémon-Beauvais et la boulangerie Boisgontier subirent le même sort. (Coll. L. Chevallier).
Une boulangerie devant laquelle les Allemands circulaient plus facilement en juin 1940. On voit ici un Panzer I Ausf B monté sur un plateau à double-essieux, tracté par un SdKfz 11 leichter Zugkraftwagen (3 t.). (Coll. D. Yvetot).
Ce cliché illustre la limite des destructions causées par le bombardement du 14 juin dans la rue du Maréchal-Foch. L’intersection en Y avec la rue du Maréchal-Joffre (qui se prolonge à gauche de la maison située à l’angle) constituait l’objectif des bombardiers du Box I. Elle est restée intacte, les bombes s’abattant 260 mètres plus à l’ouest. (Coll. D. Yvetot).
Le Rex, situé au 47 de la rue du Maréchal-Foch, devant lequel des éléments d’une compagnie d’infanterie allemande se firent photographier en 1940, sans doute par le photographe dont le studio jouxtait l’entrée du cinéma. Tous arborent le large sourire des vainqueurs. L’enfant qui observe la scène depuis une fenêtre ignore encore les souffrances que cette occupation militaire engendrera. Mais, comme dans les contes que lui racontait peut-être l’adulte à ses côtés, à la fin, les méchants seront punis et les bons, récompensés. (Coll. D. Yvetot).
[2] - Secteur du Pont de Godras
La rue des Barbacanes photographiée au début du XXe siècle depuis le Pont de Godras. À droite, on aperçoit l’une des deux tours de Godras. (G. Hubert, Éditeur).
La rue des Barbacanes après le bombardement du 14 juin 1944, vue depuis le Pont de Godras, d’où l’on surplombe un chaos inextricable. (Coll. L. Letendre).
La rue des Barbacanes et le Pont de Godras en arrière-plan. Ce renversement de perspective nous révèle le lieu d’où a été prise la photographie précédente. (Coll. L. Letendre).
Le Pont de Godras photographié au début du XXe siècle depuis la rue des Barbacanes, en direction du Grand Carrefour. La seconde des tours de Godras est visible en arrière-plan. (G. Hubert, Éditeur).
Le Pont de Godras après le bombardement du 14 juin 1944, vu depuis la rue des Barbacanes. L’angle de prise de vue est le même que celui de la photographie présentée dans la première partie de cette étude, mais le plan est plus rapproché. Le poteau indicateur (en bas à gauche du cliché) signale que la zone est dangereuse. (Coll. E. Giraud).
Vue du trou béant causé par l’impact d’une bombe sur la voûte du Pont de Godras. Orientée vers le Grand Carrefour, la perspective est inversée par rapport à celle du cliché pris le 15 août 1944 par le reporter-photographe de guerre du Signal Corps, présenté dans la première partie de cette étude. (Coll. D. Yvetot).
Vue rapprochée de l’impact de la bombe sur la voûte du Pont de Godras, cette fois prise dans le même axe que le cliché réalisé par le reporter-photographe de guerre du Signal Corps le 15 août 1944, en direction de la route de Flers. (Coll. L. Tarot).
Bien que de mauvaise qualité, ce cliché est exceptionnel car pris sur le Pont de Godras le 15 juin 1944. L’angle de vue est dirigé vers la haute ville, mais l’une des tours de Godras, située en haut à gauche, est masquée par les imperfections de l’image. Il peut être comparé à la photographie des tours de Godras présentée dans la première partie de cette étude. On y distingue notamment le poteau électrique en béton, celui téléphonique en bois, ainsi qu’une cheminée et une ouverture dans un mur de l’habitation adjacente. (Coll. V. Picault).
Tout aussi médiocre en qualité mais d’une grande valeur historique, ce cliché a également été pris sur le Pont de Godras le 15 juin 1944, vraisemblablement en position agenouillée. L’angle de vue est tourné vers la rue des Barbacanes en direction du Grand Carrefour. Cette fois, l’une des deux tours de Godras est visible. De la maison adjacente, seules les deux cheminées subsistent. (Coll. V. Picault).
Ouvrage d’art construit au XIXe siècle, le Pont de Godras a prouvé sa robustesse en résistant à l’impact de la bombe américaine de 250 kg. Les passants, stupéfaits, observent l’ouverture béante dans le tablier. La perspective est dirigée vers la haute ville, comme l’atteste l’escalier d’accès discernable en haut du cliché (au centre). Notons également la présence du poteau électrique en béton (en haut à gauche), à peine visible, ainsi que celle d’un panneau avertissant d’un danger. (Coll. D. Yvetot).
Bien que toujours debout, le Pont de Godras présentait un risque pour la circulation des camions, ce qui a conduit le Génie américain à le démolir avec des explosifs. Sur cette photographie prise en direction de la route de Flers, deux pelleteuses Osgood sont à l’œuvre pour déblayer les gravats et les évacuer dans un camion GMC. (Coll. D. Yvetot).
[3] - Secteur de la rue du Chêne-Vert
Photographie de la rue du Chêne-Vert réalisée avant-guerre depuis le promontoire du Calvaire, situé près de la Place du Champ de Foire, sur un éperon rocheux dominant la cité. (Éditeur inconnu).
Cliché pris après le bombardement du 14 juin 1944 depuis le même endroit. Maisons disloquées et calcinées, toitures envolées, le secteur est dévasté. (Coll. D. Yvetot).
Place de La Petite Bruyère, surplombant la rue du Chêne-Vert, la demeure visible sur la carte postale ancienne (la maison Mallet, en partie masquée par le timbre et le cachet de la Poste) n’a que peu souffert. Seules ses portes et fenêtres ont été soufflées par la déflagration d’une bombe tombée de l’autre côté des anciens remparts, éventrés par le puissant dégagement d’énergie. (Coll. D. Yvetot).
Au pied des remparts, en haut de la rue du Chêne-Vert, les murs des habitations n’ont pas tenu face à la violence du bombardement. (Coll. D. Yvetot).
Quelques mètres plus bas, les habitations ne sont plus qu’un amas informe de pierres et de poutres calcinées, ensevelissant en un instant des vies humaines. À cet endroit précis, cinq membres de la famille Grare ont perdu la vie, dont trois enfants âgés de 1, 3 et 7 ans. Mademoiselle Paule Duval, également résidente de la rue du Chêne-Vert, fut la sixième victime. (Coll. D. Yvetot).
Les Domfrontais passant devant le lieu d’un tel drame ne sont pas sans être saisis d’effroi. Ce cliché est à comparer avec celui du même endroit, présenté dans la première partie de cette étude. Le poteau indicateur signalant une zone dangereuse n’a pas encore été installé. Juste derrière les jeunes gens, la petite maison à la couverture soufflée est visible sur la carte postale présentée ci-dessus. Elle permet de situer l’endroit avec précision. (Coll. D. Yvetot).
Un peu plus bas encore, les bombes ont opéré de telles destructions qu’elles ont créé une large trouée permettant de voir, vers le sud, toute la campagne environnante. (Coll. D. Yvetot).
En se tournant légèrement vers la gauche, on aperçoit à travers les ruines l’aile ouest du pensionnat de l’Ange Gardien. (Coll. D. Yvetot).
Au même endroit, en se tournant cette fois vers le nord, on distingue de nouveau la maison Mallet, reconnaissable à ses cheminées, aux arbres qui les masquent en partie, ainsi qu’à la forme de sa fenêtre sur le pignon sud. (Coll. L. Letendre).
Regardant vers le sud depuis les jardins surplombant la rue du Chêne-Vert, touchés également par le fracas des bombes, on aperçoit les toits soufflés des maisons dont seules les cheminées subsistent. (Coll. L. Letendre).
À quelques mètres du bas de la rue du Chêne-Vert et de l’intersection avec la rue du Maréchal-Foch, en se tournant vers le nord, l’endroit est également ruiné. (Coll. L. Tarot).
[4] - Secteur de l’Ange Gardien
Carte postale ancienne du pensionnat de jeunes filles de l’Ange Gardien où logeait et enseignait Sœur Jeanne, vu du sud, côté façade arrière et cour intérieure. (G. Hubert, Éditeur).
Photo d’identité de Sœur Jeanne Dupont (1912-2002) réalisée en 1940. Le Journal qu’elle tint du 1er mai 1944 au 15 août 1945 présente une valeur inestimable pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la libération de Domfront. (Coll. D. Yvetot).
Sœur Jeanne Dupont (3ème en partant de la g.), en compagnie des autres sœurs de l’Ange Gardien dont Sœur Albertine (en bas, au c.) et Mme la Directrice du pensionnat (en bas, à dr.). (Archives sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de l’aile ouest de la façade arrière de l’Ange Gardien. Une sœur et une habitante de Domfront cheminent tant bien que mal à travers gravats et entonnoirs. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Dans le cratère creusé devant la chapelle attenante au pensionnat, au pied de la statue décapitée de saint Joseph, gisait, à moitié ensevelie sous les décombres et la poussière, Marie Desechalliers, 59 ans. Son corps était ouvert en deux, sa face méconnaissable. Saisie par l’horreur, Sœur Jeanne n’osa pas s’approcher. Observons les profondes fissures marquant l’édifice religieux, dont la structure fragilisée menace de s’effondrer à tout moment et entraînera sa démolition en 1947. Signalons aussi qu’un panneau de basket semble avoir été détourné de son usage pour servir d’avertissement face au danger. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de l’aile est de la façade arrière de l’Ange Gardien. Attenant au bâtiment abritant la buanderie du pensionnat, le préau a été soufflé, tout comme les vitraux de la chapelle et certains éléments de sa toiture. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de la façade principale de l’Ange Gardien. La passerelle menant à l’entrée du pensionnat s’est effondrée. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue prise devant devant l’aile est de la façade principale de l’Ange Gardien. Un cratère entrave l’accès au réfectoire du pensionnat, dont deux fenêtres du rez-de-chaussée sont visibles. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Le réfectoire du pensionnat de l’Ange Gardien. (Éditeur inconnu, Photo Giraud).
Vue de la cour nord de l’Ange Gardien. La passerelle menant à l’entrée du pensionnat est effondrée, tandis qu’un sapin, dont toutes les branches ont été soufflées par les déflagrations, s’est couché sur le bûcher de l’établissement. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
Vue de la cour de l’externat de l’Ange Gardien, située sur l’aile ouest de la façade principale. La couverture du préau pend tristement, tandis qu’à droite, la buanderie est dévastée. Au premier étage, les persiennes de la salle Sainte-Cécile, où Sœur Jeanne enseignait la musique, sont fermées, un symbole lourd de sens. (Archives Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron).
[5] - Secteur de la haute ville
Vue prise à la fin des années 1930 de la Place et de la rue Saint-Julien menant à l’église du même nom. (Tronchet, Éditeur).
Vue de la Place Saint-Julien à l’été 1944, côté nord, avec la rue Saint-Julien se poursuivant sur la droite, à l’angle du café Milcent, jusqu’à l’église Saint-Julien. Un projectile tombé lors du bombardement du 14 juin sur la maison du marchand de bicyclettes Hamon provoqua un incendie qui se propagea ensuite à trois habitations attenantes : celles de l’huissier Letrou, du quincaillier Paris et du tabac-chaussures Mouton. (Coll. D. Yvetot).
Sur ce cliché pris par un photographe de guerre américain le 14 août 1944, jour même de la libération de Domfront, on constate que ni l’église Saint-Julien ni les habitations situées à ses pieds, rue Saint-Julien, n’ont été touchées par les ravages du bombardement du 14 juin 1944. (Coll. U.S. NARA).
Construit dans la haute ville, à quelques dizaines de mètres à l’ouest de l’Hôtel de Ville de Domfront, sur l’éperon rocheux dominant le Carrefour du Pissot, le nouveau presbytère fut frappé de plein fouet par une bombe destinée à ce dernier mais ayant débordé de sa cible. Seuls le garage et la cuisine restèrent debout. Au matin du 15 juin, les Sœurs Jeanne, Albertine et Vitalie, Mme la Directrice du pensionnat de l’Ange Gardien, M. le Curé ainsi que sa bonne, Mme Yvonne, se rendirent sur place pour récupérer quelques effets dans les décombres, dont des souliers. (G. Hubert, Éditeur).
Fracassé par une bombe, le café de Marie Jégou, victime du bombardement du 14 juin 1944 au Carrefour du Pissot, s’est effondré dans la rue, laquelle fut rebaptisée après-guerre « Rue du 14 juin 1944 » en hommage aux vingt-sept personnes mortes lors de cette tragique soirée. À quelques dizaines de mètres, plusieurs habitations furent également détruites et remplacées après-guerre par l’actuelle Place du Panorama. (Coll. D. Yvetot).
Sur ce cliché pris par un photographe de guerre américain le 15 août 1944, on peut constater que bien que l’Hôtel de Ville de Domfront n’ait pas été directement touché par le bombardement du 14 juin 1944, de nombreux carreaux des fenêtres de son pignon est furent brisés par le souffle des bombes tombées trop court sur les habitations de la rue Clément Bigot, situées à seulement quelques dizaines de mètres. (Coll. U.S. NARA).
La Route de Ronde, aujourd’hui connue sous le nom de rue de la Porte de Normandie, et le pont menant au château de Domfront. (Tronchet, Éditeur).
La demeure située près de l’ancienne Route de la Ronde a souffert, mais probablement pas à cause du bombardement du mercredi 14 juin. (Coll. D. Yvetot).
Les mitraillages des jours précédents expliquent peut-être le délabrement de la petite tour de cette habitation. (Coll. D. Yvetot).
[6] - Secteur du Carrefour du Pissot
Agrandissement de la vue aérienne prise par les Américains en août 1944 présentée dans la première partie de cette étude. Elle montre les nombreux cratères de bombes constellant le secteur du Carrefour du Pissot. Tout près de la haute ville, les impacts ont été causés par un chapelet de bombes dont certaines tombèrent trop court et se fracassèrent sur des habitations Place Saint-Julien et rue Clément Bigot. (Coll. IGN, détail).
Photographie réalisée par les forces aériennes américaines en août 1944 des secteurs de la haute ville de Domfront et des champs à l’ouest du Carrefour du Pissot. Bien que le cliché soit de qualité moyenne, l’angle de prise de vue est intéressant, car il permet d’apercevoir rues Saint-Julien et Clément Bigot les destructions infligées par les bombes du Box II tombées trop court. À l’extrême-droite du cliché, le presbytère est hors-cadre, seule une partie de l’Hôtel de Ville étant visible. (Coll. U.S. NARA).
Les petites habitations avoisinant le Carrefour du Pissot furent foudroyées. C’est probablement dans la Ruelle des Buttes, qui descend de la rue de la Poterne, à côté de l’église Saint-Julien, vers la rue de la Porte de Normandie et le Carrefour du Pissot, qu’Élise Jouin fut tuée à l’âge de 62 ans. Sa sœur Victorine, âgée de 71 ans, trouva la mort au même moment dans la rue d’Enfer. (Éditeur inconnu).
Situés dans l’environnement immédiat de la zone cible du Box II, ces champs sont ceux où Marie Jégou périt alors qu’elle trayait ses vaches. Âgée de 71 ans, son corps fut pulvérisé par la pluie de bombes visant le Carrefour du Pissot. Son café, frappé par une bombe au même instant, laisse penser que le sort ne lui offrait aucune chance d’échapper à ce destin tragique. (Éditeur inconnu).
Médaillon funéraire en porcelaine apposé sur la pierre tombale de Marie Jégou, inhumée au cimetière de La Haute-Chapelle. (Photo L. Letendre).
Avant de refermer ce chapitre consacré au bombardement du mercredi 14 juin 1944 et au souvenir de la tourmente vécue par les Domfrontais ce soir-là, il convient de souligner que si la tragique erreur de l’avion-leader du Box I ne s’était pas produite, Domfront n’en eût pas été nécessairement épargné. Située au croisement de deux axes majeurs de circulation – un axe nord-sud (Caen-Laval) et un axe est-ouest (Paris-Bretagne via Alençon) –, Domfront et ses carrefours stratégiques auraient, tôt ou tard, été pris pour cible par l’aviation alliée. Aurait-on déploré moins de victimes, ou au contraire davantage ? Nul ne le saura jamais. La seule différence entre ces deux scénarios est que les habitants auraient peut-être été prévenus : des tracts largués depuis les airs invitaient parfois les populations à évacuer les agglomérations menacées. Mais ces avertissements ne furent pas toujours efficaces. Certains tracts tombèrent loin des zones concernées, comme ce fut le cas à Écouché, Argentan ou Vimoutiers. D’autres, volontairement imprécis pour ne pas compromettre le secret des opérations, ne mentionnaient jamais le nom des villes visées, si bien que leurs destinataires les ignoraient ou supposaient qu’ils ne les concernaient pas.

Jeudi 15 juin 1944

416th Bombardment Group (L)

Mission n° 78
La nuit de 14 au 15 juin fut de nouveau très agitée en raison du bruit incessant des formations aériennes survolant la ville. Les foyers d’incendie déclenchés par le bombardement du 14 juin se développèrent de manière incontrôlable le 15. Dans la haute ville, le brasier provoqué par l’explosion d’une bombe tombée sur la maison du marchand de cycles Hamon, Place Saint-Julien, se propagea à deux immeubles attenants (les habitations de l’huissier Letrou, du quincaillier Paris et du tabac-chaussures Mouton devenant la proie des flammes). Tandis que dans la basse-ville, un feu violent et dévastateur achevait de ravager les maisons situées entre le Grand Carrefour et la rue du Chêne-Vert (le Bazar Doisneau-Belloche, en particulier, brûlant entièrement avec ses annexes). À 16h, de puissantes escadrilles traversèrent le ciel de la cité, laissant craindre un nouveau bombardement du centre-ville. Mais il n’en fut rien. Seules quelques attaques de chasseurs-bombardiers eurent lieu sur la route d’Alençon et celle de Mayenne.

Sœur Jeanne, qui comme Germaine Renard avait fui Domfront après le bombardement du 14 pour se réfugier au manoir de la Guyardière, revint le matin du 15 au pensionnat de l’Ange Gardien afin de protéger ce qui pouvait l’être du pillage et des éventuels incendies. En fin d’après-midi, elle quitta à nouveau Domfront à la recherche d’un gîte pour la nuit. Il n’est donc pas étonnant que son Journal, tout comme le récit de Germaine Renard, ne fasse aucune mention du bombardement qui débuta exactement entre 18h19 et 18h20 le 15 juin 1944, visant à nouveau le Quartier Notre-Dame. Seul André Rougeyron en fait état, mais de manière succincte : « Le 15, écrit-il, vers 18h30, nouvelle attaque de la gare par des bombardiers lourds : l’hôpital est atteint et la maison de Mme Lechippey détruite par le feu, malgré les efforts des pompiers qui passeront la nuit sur place ». Bien que ce témoignage apporte des informations intéressantes sur les événements, il reste imprécis, voire inexact, comme nous le constaterons en procédant à un examen détaillé de cette nouvelle opération lancée sur Domfront par les forces aériennes alliées.

Cette analyse repose sur l’étude de documents d’archives militaires conservés par l’Air Force Historical Research Agency (AFHRA) et réunis par les soins de Waynes G. Sayles, archiviste du 416th Bomb Group Archive, une association établie à Gainesville (Missouri) dont la mission est d’honorer la mémoire de ceux qui servirent au sein de cette unité. Il s’appuie également sur le témoignage de l’un des acteurs de ce bombardement, le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr., âgé de 91 ans, dont nous avons retrouvé la trace et qui a généreusement accepté de nous faire partager ses souvenirs de la mission qu’il a mené aux commandes de son appareil dans le ciel de la cité médiévale ce jour-là.
***
Dévolue au 416th Bombardment Group (L) par le « Field Order n° 85-375 » émis le 15 juin 1944 par le 97th Combat Bombardment Wing, relevant du IX Bomber Command de la 9th Air Force, cette mission sur Domfront mobilisa 38 bombardiers légers Douglas A-20 G et J Havoc. Ces appareils appartenaient aux quatre escadrilles du groupe de bombardement léger stationné sur la base aérienne AAF-170 de Wethersfield en Angleterre. Conformément à la procédure standard précédemment décrite, deux des 38 avions étaient désignés comme appareils de réserve. Ils décollaient avec la formation principale et l’accompagnaient jusqu’à la Manche, prêts à remplacer tout appareil rencontrant un problème technique. En l’absence d’incident, ces avions de réserve retournaient ensuite à leur base sans participer à l’opération.

Classé secret et transmis par l’Operations Officer du 97th CBW, le Major Clarence S. Towles Jr., l’ordre de mission n° 85-375 prévoyait initialement, pour la formation, une couverture aérienne assurée par des chasseurs alliés, comme l’indiquait la mention suivante : « Allied fighters will furnish cover for this wing ». Toutefois, en raison de la vitesse et des capacités de défense des Douglas A-20 Havoc, jugées suffisantes pour se passer de l’appui habituel fourni par des Supermarine Spitfire ou des Republic P-47 Thunderbolt, cette escorte fut finalement considérée comme superflue. Les bombardiers légers du 416th BG exécutèrent donc leur mission sans protection.

La répartition des avions par escadrille était la suivante :
 6 avions du 668th Bombardment Squadron (code de fuselage : 5H)
 7 avions du 669th Bombardment Squadron (code de fuselage : 2A)
 13 avions du 670th Bombardment Squadron (code de fuselage : F6)
 12 avions du 671st Bombardment Squadron (code de fuselage : 5C)
« Field Order n° 85-375 »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Devant l’ensemble des membres d’équipage, la mission débuta par un briefing général dirigé par l’officier commandant le 416th Bombardment Group, le Colonel Harold L. Mace, assisté de deux officiers responsables de la météorologie et du renseignement au sein de l’unité. Dans la salle d’opérations, hautement sécurisée, une grande carte du sud de l’Angleterre et du nord de la France était affichée au mur. Un cordon rouge vif y traçait le plan de vol.
Salle d’opérations de la base aérienne AAF-170 de Wethersfield avec sa grande carte du sud de l’Angleterre et du nord de la France. (Coll. F.J. Cachat).
Sur un tableau noir figuraient l’heure de décollage, les coordonnées de la cible (secteur codé 4801 W/24 à Domfront et référencé 042034 sur la carte utilisée), ainsi que tous les détails de l’attaque. Les bombardiers-navigateurs prenaient des notes. Une fois ses dernières instructions données, le Colonel Mace conclut la réunion en indiquant le « time check », moment où toutes les montres furent synchronisées.
Le Colonel Harold L. Mace dans son bureau du Quartier général du 416th Bombardment Group (L) à Wethersfield en 1944. On aperçoit, à sa gauche, l’insigne du « Group » ainsi que ceux des quatre escadrilles qui le composent. (Coll. F.J. Cachat).
Insignes du 416th Bombardment Group (L) et des quatre escadrilles qui le composent. La devise du « For Hundred and Sixteenth » est une expression latine de Sénèque : Ignis aurum probat, « le feu éprouve l’or ». Précisons que la citation complète du philosophe romain est la suivante : Ignis aurum probat, miseria fortes viros, « Le feu éprouve l’or, l’épreuve, l’homme de cœur » (De la providence, 5, 10). (Montage L. Letendre).
Le Colonel Harold L. Mace photographié en 1944 dans le cockpit de son Douglas A-20G Havoc (numéro de série : 43-9701 ; code de fuselage : 5H-H). Notons la présence des six mitrailleuses Browning M2 de calibre 50 (12,7 mm) installées dans et sous le nez tôlé du Havoc (« ravage », en fr.) type G qui conféraient à l’appareil des capacités de mitraillage comparables à celles du chasseur Republic P-47 Thunderbolt. (Coll. U.S. Air Force).
Une fois le briefing terminé, les équipages, transportés en Jeep Wyllis ou en camion, se rendirent à l’aire de stationnement de leurs avions sur la base aérienne, chaque « squadron » disposant de sa zone réservée. Installés dans leurs cockpits, assis sur leur parachute qu’ils inséraient dans leur siège, ils attendirent le signal du contrôle aérien. À 16h10 précises, dès que ce signal leur fut donné, les pilotes démarrèrent leurs deux moteurs Wright Cyclone de 1600 chevaux chacun pour faire monter l’huile en température et atteindre les niveaux de pression requis.

Pendant les dix minutes que dura ce « warm-up », observant scrupuleusement la « check-list », les pilotes contrôlèrent tous les instruments de bord et les nombreuses jauges. Embarquant une tonne d’explosifs (ou 1,5 tonne dans certains appareils de la mission) et des milliers de balles de mitrailleuses de calibre 50 (12,7 mm), ils gagnèrent ensuite la piste d’envol entre 16h21 et 16h29. Alignant leurs avions deux par deux, ils occupèrent la place précise qui leur avait été assignée dans la formation : l’avion occupant la position 1 du Flight I du Box I en tête, suivi, quelques mètres en retrait, de celui en position 2, puis celui en position 3 juste derrière lui, et ainsi de suite. La main sur la commande des gaz, les pilotes n’attendaient plus que l’autorisation de décollage de la tour de contrôle pour pousser celle-ci à sa puissance maximale et libérer ainsi les 3200 chevaux de leur appareil.
Compartiment du pilote d’un Douglas A-20G Havoc. Puissant avion d’attaque au sol, le A-20G (construit à 2 850 exemplaires) pouvait atteindre une vitesse maximale de 546 km/h, ce qui le rendait aussi rapide que les chasseurs de son époque. (Coll. USAF Museum).
Schéma didactique du cockpit du Douglas A-20G Havoc, vu de face. (Coll. U.S. Air Force).
Schéma didactique des instruments de bord situés juste derrière la commande principale de vol. (Coll. U.S. Air Force).
Schéma didactique du « lower electrical panel » où se situent les deux boutons de démarrage des moteurs droit et gauche de l’avion. Le bouton « start » active le starter, puis, 45 secondes plus tard, le bouton « mesh » (« engrènement », en fr.) peut être activé, ce qui lance le moteur. (Coll. U.S. Air Force, annotation L. Letendre).
Cockpit du Douglas A-20G Havoc, vu du côté gauche. (Coll. USAF Museum).
Cockpit du Douglas A-20G Havoc, vu du côté droit. (Coll. USAF Museum).
Schéma didactique du cockpit d’un Douglas A-20G Havoc, vu du coté gauche. Poussée à fond, la commande des gaz (« throttle control », en angl.) libère les 3 200 chevaux des deux puissants moteurs en étoiles de 14 cylindres Wright Cyclone R-2600-23 fabriqués par la Curtiss-Wright Corporation. (Coll. U.S. Air Force).
Pilote du 416th BG. Il porte un serre-tête de type AN-H-16 fabriqué par Bradley Goodrich Inc. et des lunettes de vol de type RAF MK VIII. (Coll. F.J. Cachat).
Le siège d’un A-20C dans lequel le pilote insérait son parachute avant de s’asseoir dessus. Quand, au cours d’une mission, les pilotes avaient vraiment eu peur, raconte le First Lieutenant Andrews, ils disaient – toujours blagueurs – que leur parachute leur était rentré dans le derrière ! Notons que le siège de l’A-20C était le même que celui du type G, bien que l’A-20C soit un modèle antérieur du Havoc. (Coll. U.S. Air Force).
27 mai 1944, sur une aire de stationnement de la base aérienne AAF-170 de Wethersfield, un Douglas A-20G Havoc du 416th BG procède à un « warm up ». Ce dernier durait 10 minutes, le temps nécessaire pour faire monter la température de l’huile à 50 degrés Celsius et le niveau de pression d’huile de 40 livre-force par pouce carré (psi ou lb/sq, en unité de mesure anglo-saxonne) à 85, en augmentant progressivement les tours par minute (tr/min ou rpm) des moteurs. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Base aérienne AAF-170 de Wethersfield en Angleterre en 1944. Remarquons sur le « taxiway » le double alignement des Havoc se préparant à rejoindre l’une des deux pistes d’envol. (Coll. Royal Ordinance Survey, montage L. Letendre).
L’aire de stationnement des 668th et 671st Bombardment Squadrons sur la base AAF-170 de Wethersfield. « Park wood », l’aire de bivouac du 668th BS, est située en haut, à droite. (Coll. U.S. NARA).
Tour de contrôle de la base aérienne AAF-170 de Wethersfield, village du comté d’Essex, situé non loin de Braintree. (Coll. F.J Cachat).
L’avion du leader de la formation, le Major William J. Meng, décolla en premier, à 16h34 précises. À raison d’un décollage toutes les 15 secondes (15 secondes entre les avions décollant alternativement des deux lignes d’envol, 30 secondes entre les avions d’une même ligne), la formation entière, composée de deux « boxes », fut en vol en 10 minutes, chaque « box » mettant environ 5 minutes à décoller. Les premiers avions ralentirent leur vitesse pour attendre les derniers, et à 16h55, tous les appareils furent rangés en formation de combat, prêts à se mettre en route vers leur objectif. Leur position exacte dans chaque « box » est connue grâce à la liste fournie par le rapport officiel suivant.
« Loading List of Airplane Crews », Box I, 416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Loading List of Airplane Crews », Box II.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Le Box I était commandé par le Major Meng, assisté de son adjoint, le First Lieutenant John P. Hillerman ; le Box II, par le Captain David A. Hulse, assisté du Second Lieutenant Leonard R. McBride. Chaque « box » se composait de trois « flights », regroupant chacun six avions, plus un avion de réserve par « box ». Ce sont donc 38 appareils (dont 32 A-20G et 6 A-20J) qui se lancèrent dans cette opération, la 78e mission du 416th Bombardment Group (L) depuis sa création le 25 janvier 1943 et son activation le 3 février de la même année à Will Rogers Field, à Oklahoma City (Oklahoma).

Dans l’« Operational Report » (le rapport opérationnel de la mission que nous examinerons par la suite), leur objectif est défini comme étant un dépôt de munitions à Domfront (« Target – Domfront Ammunition Dump »). Mais, selon le 1st Lt. Andrews, il s’agit d’une erreur, car la cible était en réalité un dépôt de carburant. C’est du reste ce qu’attestent plusieurs documents, dont un rapport, que nous présenterons également par la suite, rédigé par un officier du renseignement du 416th BG, le Captain Clayton W. Zesiger, intitulé « First Interpretation Report », qui précise que la cible de la mission n° 78 du 15 juin 1944 était un « dépôt de carburant à la limite sud-ouest de la gare de triage » (« Fuel storage on southwest edge of marshalling yards  »).
William J. Meng, leader de la formation mobilisée lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 à Domfront, photographié devant le nez en plexiglas d’un Douglas A-20J Havoc tout début 1944, alors qu’il n’était encore que Captain. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20J (43-9439, F6-J) du 670th BS, utilisé par l’équipage du Major W. J. Meng lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 (Box I, Flight I, position 1), stationné sur la base AAF-170 de Wethersfield. Notons que les bombes visibles sur le tarmac – des 500 lb GP Bomb AN-M64 – sont du même type que celles larguées lors du bombardement de Domfront. (Coll. F.J. Cachat).
Vue du nez en plexiglas de l’A-20J (43-9439, F6-J) piloté par le Maj. W. J. Meng lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. C’est depuis ce poste que le 1st Lt. Vernon H. Powell, bombardier-navigateur, déclencha le bombardement du secteur visé à Domfront entre 18h19 et 18h20. Baptisé « Out Hell’n » (« D’enfer », en fr.), le « ’n » forme-t-il le nom propre « Hell(e) ’n », le prénom de la « pin-up » d’enfer représentée par le « nose art » peint sur le cockpit de l’appareil ? (Coll. F.J. Cachat).
Le 1st Lt. John Parker Hillerman, adjoint du Major Meng (Box I, Flight I, position 2), pose devant le « Betty Bear » sur son aire de stationnement de la base aérienne de Wethersfield. S’agit-il de l’A-20G 43-9680, codé F6-R, utilisé par notre pilote lors de la mission n° 78 ? (Photo G. Hillerman-Johnston, montage L. Letendre).
En présence des mécaniciens affectés à l’avion, un équipage de l’A-20J 43-9450, 2A-S (piloté le 15 juin 1944 par le Cpt. Meredith J. Huff, Box II, Flight II, position 1) inspecte l’appareil sur son aire de stationnement de la base de Wethersfield avant une nouvelle mission de bombardement. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (Box I, Flight III, position 4) en phase de roulage sur le « taxiway » de la base aérienne de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat).
38 appareils décollèrent en moins de 10 minutes de la base de AAF-170 de Wethersfield. Visible au centre de cette photographie en phase de roulage, l’A-20G 43-9387 (F6-H) du 670th Bombardment Squadron prit part à la mission n° 78, piloté par le 1st Lt. Charles L. McGlohn (Box I, Flight I, position 6). (Coll. F.J. Cachat).
Au centre du cliché, rejoignant la piste d’envol de la base aérienne de Wethersfield, l’A-20G 43-9717 (2A-N) du 1st Lt. Earl L. Hayter occupait la position 3 du Flight II du Box II lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Visible à gauche du cliché en phase de roulage sur la piste de la base aérienne de Wethersfield, l’A-20G 43-10165 (5C-H) du 1st Lt. Michael Zubon occupait la position 2 du Flight III du Box I lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Portrait de Harold Dave Andrews, Jr. (alors Second Lieutenant) réalisé le 25 mars 1943 à Columbus (Minnesota), le jour de la cérémonie de remise de son brevet de pilote de l’U.S. Air Force. (Coll. L. Letendre).
Vue du poste de pilotage de l’A-20G (43-9363, 5C-L) occupé par le 1st Lt. Harold Dave Andrews, Jr. lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 (Box I, Flight II, position 5). (Présent sur ce cliché, le 1st Lt. James D. Adams ne pris pas part à cette mission). (Coll. J.D. Adams).
L’A-20G (43-9363, 5C-L) du 1st Lt. Harold Dave Andrews, Jr. décollant de la base aérienne de Wethersfield. (416th Bomb Group Archive).
Portrait de Harold Dave Andrews, Jr. (alors Second Lieutenant) réalisé à Ocala (Floride) en juillet ou en août 1943 lors d’une permission de cinq jours passée en compagnie de Jacquelyn, sa future femme. Autorisé à s’éloigner de 50 miles seulement de la base d’Oklahoma City, Dave désobéit et n’hésita pas à faire les 1 180 miles qui le séparaient de « Jackie » afin de la rencontrer pour la seconde fois. Que ne ferait-on pas par amour ! (Coll. L. Letendre).
Photographie prise le 11 juillet 1944 après la remise d’une Air medal par le Colonel Mace. De g. à dr. : Capt. Hulse (670th), 1st Lt. DeMun (669th), 1st Lt. Siggs (669th), Maj. Meng (670th), 1st Lt. Behlmer (669th), Capt. Jackson (670th), 1st Lt. Maltby (670th). Seuls quatre aviateurs prirent part à la mission n° 78 : le Captain David A. Hulse (pilote, Box II, Flight I, position 1), le Captain Ronald C. Jackson, pilote, et son bombardier-navigateur le First Lieutenant Alfred H. Maltby (Box I, Flight II, position 1), et le leader de la formation, le Major William J. Meng (pilote, Box I, Flight I, position 1). (Coll. F.J. Cachat).
Adjoint du leader du Box II, le 2nd Lt. Leonard R. McBride, pilote du A-20G 43-9224 (F6-E) appartenant au 670th BS, occupait la position 2 du Flight I du Box II. Promu 1st Lt. le 30 juin 1944, il accomplit son « Combat Tour » de 65 missions et rentra aux U.S.A. le 28 décembre 1944. Décoré de la Distinguished Flying Cross en mai 1945, il est décédé le 9 septembre 2009, à l’âge de 90 ans et huit mois. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Le 1st Lt. Robert W. York (au centre), pilote de l’A-20G 43-10214 (5C-C) appartenant au 671st BS, occupait avec le Staff Sergeant Lewis A. Ashton (à g.), mitrailleur arrière, la position 5 du Flight III du Box I lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. Le S/Sgt. Harley Wilds (à dr.) ne prit pas part à cette mission, la fonction de mitrailleur de tourelle étant assurée par le S/Sgt. Victor P. Adams. Robert W. York perdit la vie le 29 septembre 1944, lors de la mission n° 149 du 416th BG, lorsque son A-20G, touché par la Flak, fut abattu durant le bombardement de la gare ferroviaire de Julïch, à l’est d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Lewis A. Ashton réussit à sauter en parachute et fut capturé. (Coll. F.J. Cachat).
Faisant état des conditions météorologiques rencontrées lors de la mission, un rapport rédigé par le 1st Lt. Walter D. Castle, l’officier en charge des questions météorologiques au sein du 416th BG, indique qu’une couverture de cumulus était présente au-dessus de la base aérienne de Wethersfield au moment du décollage, à 3 500 pieds d’altitude (couverture nuageuse estimée entre 6 et 7 sur 10), et que la visibilité était de 9 miles. Il précise que cette couverture nuageuse s’est dissipée en se dirigeant vers le sud de l’Angleterre et au-dessus de la Manche, où elle est passée à 4-5 sur 10, avec une visibilité de 8 à 10 miles.
« Weather Report »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Rédigé après la mission, ce rapport du Staff Weather Officer du 416th BG permet de comparer les données météorologiques rencontrées pendant l’opération avec celles prévues avant la mission, et de constater que la couverture nuageuse a été sous-estimée tandis que la visibilité a été surestimée. Les prévisions météorologiques communiquées aux équipages lors du briefing général étaient consignées dans le rapport intitulé « Operational Route Forecast ».
« Operational Route Forecast »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Une fois en formation de combat et sans escorte, les bombardiers légers suivirent une trajectoire passant par Gravesend (dans le nord-ouest du Kent) et Brighton (dans l’East Sussex), où ils franchirent les côtes anglaises à 17h17. Ils commencèrent ensuite à survoler la Manche à très basse altitude afin d’échapper aux moyens de détection ennemis. Aucun appareil n’ayant rencontré de problème, les deux avions de réserve revinrent se poser à la base de Wethersfield : celui du 1st Lt. Hilary P. Cole (Box I) à 17h46 et celui du 1st Lt. Patrick F.E. MacManus (Box II) à 17h47.
Disposition tactique de la 9th Air Force le 6 juin 1944 (carte originale). (Coll. AFHRA).
Disposition tactique de la 9th Air Force le 6 juin 1944 et trajet suivi par les éléments du 416th Bomb Group (L) depuis la base aérienne AAF-170 de Wethersfield jusqu’aux côtes anglaises. (Retranscription de la carte originale F.J. Kane, annotation L. Letendre).
« Spare » du Box I, le 1st Lt. Hilary P. Cole revint se poser à la base aérienne de Wethersfield à 17h46. (Coll. Wayne E. Downing).
Parqué sur la base aérienne de Wethersfield, l’A-20G 43-9711 (5C-M) « Moanin’ Gus », « spare » du Box I piloté par le 1st Lt. Hilary P. Cole. (Coll. F.J. Cachat).
À l’extrême gauche se trouve le 1st Lt. Patrick F.E. MacManus (« spare » du Box II), dont l’avion revint se poser à la base de Wethersfield à 17h47. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Le rapport suivant, préparé par le Major John G. Napier, Commanding Officer du 668th BS, rédigé par le 1st Lt. John M. Bonura, officier du « Group Headquarter » du 416th BG, et adressé au 97th Combat Bombardment Wing ainsi qu’au IX Bomber Command, consigne, entre autres renseignements, la répartition des appareils par « squadron » dans les deux « boxes », l’identité du « leader » et de son adjoint (« deputy »), ainsi que l’heure à laquelle la formation survola Brighton, à l’aller (17h19) et au retour (19h08).
« Operational Priority Report »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
À 17h50, parvenue sur le continent, à Cabourg exactement, la formation de bombardiers regagna une altitude de 2 500 pieds, avec une présence de cumulus entre 4 000 et 5 500 pieds et une couverture nuageuse de 2 à 3 sur 10. Elle prit alors la direction du sud, vers Falaise, avant de virer vers le sud-ouest en direction de Condé-sur-Noireau, puis de se diriger vers Vire. Après avoir atteint le secteur de Saint-Sever, elle fit demi-tour vers Domfront, en passant par Sourdeval, décrivant ainsi une large boucle vers l’ouest pour atteindre son objectif.

C’est dans le secteur de Sourdeval, à environ 25 km de Domfront, que les mitrailleurs arrière de trois appareils de la formation, dont celui de l’avion du 1st Lt. Andrews, commencèrent à larguer des « windows » par l’ouverture spécialement aménagée dans le bas du fuselage du Havoc pour y installer la Browning M2 de calibre 50 (12,7 mm). Ces bandes d’aluminium, mesurant 30 cm de long et 1,5 cm de large, étaient des contre-mesures destinées à brouiller les radars de la défense anti-aérienne allemande. Regroupées en bottes de deux mille, maintenues par un élastique, elles se déliaient au moment du largage. En se dispersant sur une période de 15 minutes, elles formaient un nuage d’échos radar similaire à celui d’un avion. En lâchant ces bottes à intervalles d’une minute, il devenait possible de saturer la zone de tels échos, rendant tout repérage impossible et rendant les tirs de la DCA inefficaces.
Un « flight » de Douglas A-20 Havoc du 416th BG survolant la France avant le débarquement en Normandie. (Coll. F.J. Cachat).
Élément d’un « flight » du 416th BG où figure l’A-20G 43-9390 (2A-G) qui occupait la position 2 du Flight II du Box II lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G 43-9189 (2A-P) piloté par le 1st Lt. Jack F. Smith, occupait la position 5 du Flight II du Box II lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Film réalisé en avril ou mai 1944 d’un « flight »
de six Douglas A-20G Havoc du 416th BG.
(Coll. U.S. Air Force).
Après 1 heure 45 de vol, sans rencontre avec des avions ennemis, la formation arriva au-dessus de Domfront, où, à 4 000 pieds d’altitude, une très faible couverture nuageuse (1 sur 10) et une visibilité de 8 miles étaient présentes. Les premiers appareils larguèrent leurs bombes entre 18h19 et 18h20, sans être gênés par les conditions météorologiques (« weather did not affect bombing », précise le rapport du Staff Weather Officer W. D. Castle) ni inquiétés par la défense anti-aérienne allemande, les « windows » ayant parfaitement joué leur rôle.

172 bombes de 250 kg étaient embarquées dans les appareils, chaque avion en transportant quatre, à l’exception de 11 A-20G et de 3 A-20J qui en transportaient chacun six, deux bombes supplémentaires étant accrochées sous les ailes. 142 bombes devaient être larguées par les A-20G et 30 par les A-20J. Toutefois, sur les 172 prévus initialement, seuls 163 projectiles furent effectivement largués sur la zone cible. Les problèmes techniques ayant affecté le largage des bombes et les raisons de ces dysfonctionnements ont été rapportés dans un compte-rendu rédigé à la main par le Captain William A. McDonald, l’officier de maintenance du 670th Bombardment Squadron.
« Aircraft Malfunction Report »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Examinons attentivement ce rapport :

 Quatre bombes de l’A-20G (43-9493, 5C-V) du 1st Lt. Robert H. Smith (Box I, Flight III, position 3) tombèrent lorsque les portes de la soute à bombes s’ouvrirent, le relais électrique de largage faisant contact à cause des vibrations et d’un ajustement insuffisant de l’interrupteur (« Release relay making contact due to vibration and insufficient clearance of breaker points »).

 L’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (Box I, Flight III, position 4) revint à la base avec une bombe, la boucle du câble auquel l’engin explosif était suspendu provoquant une déconnexion dans le circuit de largage en se coinçant dans le relais électrique qui commande le crochet du porte-bombe (« Arming wire loop caught in arming wire retainer holding breaker points apart, leaving an opening in release circuit »).

 Une bombe de l’A-20G (43-9224, F6-E) baptisé « Miss Laid » du 1st Lt. Leonard R. McBride (Box II, Flight I, position 2) ne fut pas larguée à cause d’un mécanisme défaillant, un solénoïde de largage ayant brûlé (« Release solenoid burn out »).

 L’A-20G (43-9717, 5C-N) du 1st Lt. Earl L. Hayter (Box II, Flight II, position 3) revint à la base avec une bombe, un mécanisme de largage défectueux provoquant un retard dans le largage (« Faulty release mechanism causing a delayed released »).

 L’A-20G (43-9189, 2A-P1) « Greetings from Winsome Winnie » du 1st Lt. Jack F. Smith (Box II, Flight II, position 5) revint à la base avec une bombe, un solénoïde de largage ayant également brûlé. La cause du dysfonctionnement restait indéterminée lors de la rédaction du rapport (« Release solenoid burn out. Complete cause yet undetermined »).

 L’A-20G (43-9961, 2A-E1) du 1st Lt. Hiram B. Clark (Box II, Flight II, position 6) revint à la base avec une bombe, une connexion électrique ayant été mal installée (« Cannon plug improperly installed »).
Schéma didactique d’une 500 lb General Purpose bomb AN-M64 américaine. L’engin était suspendu par un câble dont la boucle était accrochée au porte-bombe, lequel était commandé électriquement par un bouton actionné par le pilote. (Coll. Harrington Aviation Museum Society).
Photographie d’un porte-bombe (« bomb rack », en angl.) installé dans la soute à bombes du Douglas A-20 Havoc. On remarque le crochet auquel était suspendu la boucle du câble fixé sur la bombe. Lorsque le pilote actionnait la commande électrique de largage, ce crochet (légèrement incliné) se renversait, libérant ainsi le projectile. (Coll. 410th Bomb Group Association).
L’équipage du A-20G « Sugar Baby » (43-9745, 5H-I) est assis sur une bombe de type 500 lb GP Bomb AN-M64. Le 2nd Lt. Robert D. Lesher (pilote, au centre), le S/Sgt. Harold R. Hedrick (mitrailleur arrière, à g.) et le S/Sgt. Adolfos J. Antanaitis (mitrailleur de tourelle) participèrent à la mission n° 78 du 15 juin 1944 (Box II, Flight III, position 4) à bord de cet appareil. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G (43-9224, F6-E) baptisé « Miss Laid », piloté par le 1st Lt. Leonard R. McBride et occupant la position 2 du Flight I du Box II, revint se poser à la base aérienne de Wethersfield avec une bombe, un solénoïde de largage ayant brûlé. (Coll. F.J. Cachat).
L’A-20G (43-9189, 2A-P) « Greetings from Winsome Winnie », piloté par le 1st Lt. Jack F. Smith (Flight II, Box II, position 5), revint se poser à la base avec une bombe, un solénoïde de largage ayant également brûlé. (Coll. F.J. Cachat).
Le 1st Lt. Hiram B. Clark, pilote au sein du 669th BS, fit atterrir son appareil à la base de Wethersfield avec l’une des cinq bombes non larguées lors de la mission n° 78. Il perdit la vie le 2 février 1945, au décollage, aux commandes d’un Douglas A-26 Invader, le successeur du A-20 Havoc, qui commença à équiper le 416th BG à partir de la mi-septembre 1944. (Coll. 416th Bomb Group Archive).
Au total, 40 750 kg d’explosifs – au lieu des 43 000 prévus – furent ainsi déversés sur la zone cible lors de la mission n° 78. Le point A du rapport opérationnel (« Operational Report » en angl., abrév. « Oprep ») rédigé le 16 juin par le Captain George Schenkein, Adjutant du 416th BG, détaille, « flight » par « flight », pour chacun des deux « boxes », le nombre de projectiles largués et évalue le résultat de chaque bombardement.
« Operational Report » (page 1),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Operational Report » (page 2).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Traduisons dans son intégralité le point A de ce rapport opérationnel.

« La formation était composée de 2 boxes de 18 avions chacun, bombardant par flight de six. La formation décolla de sa base à 16h34. Heure sur la cible : 18h19-18h20. Le flight 1 du box 1 largua à 2 500 pieds un total de 26 bombes sur la zone cible avec d’excellents résultats. Le flight 2 du box 1 largua à 2 500 pieds un total de 30 bombes sur la zone cible avec de bons résultats. Le flight 3 du box 1 largua à 2 500 pieds un total de 25 bombes sur la zone cible avec d’excellents résultats. Le flight 1 du box 2 largua à 3 000 pieds un total de 27 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. Le flight 2 du box 2 largua à 3 000 pieds un total de 23 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. Le flight 3 du box 2 largua à 2 500 pieds un total de 32 bombes sur la zone cible avec des résultats corrects. La visibilité était de 8 miles avec une couverture nuageuse de 1 sur 10. Le tir anti-aérien a été très imprécis, 8 miles à l’est de Caen. Un appareil a reçu des dommages de catégorie A. Aucun tir anti-aérien subi au-dessus de la zone cible. Aucun avion ennemi rencontré. Les avions atterrirent à la base à 20h01 ».
Vue du côté droit du cockpit d’un A-20C Havoc. Les boutons permettant de commander le largage des bombes, soit individuellement, soit en mode groupé, sont entourés, ainsi que ceux servant au largage d’urgence (« emergency release »), utilisé notamment pour se délester des bombes afin de faire face à des chasseurs ennemis rapides. La flèche indique l’emplacement du bouton poussoir déclenchant le largage des projectiles. (Coll. U.S. Air Force, annotations L. Letendre).
Vue de l’intérieur de la soute à bombes d’un A-20 Havoc. On remarque la plaque fixée à l’intérieur de la soute, portant l’inscription « front ». Cette bipartition de la soute (« front » et « rear ») permettait de larguer individuellement les bombes situées à l’avant et à l’arrière. (Il est à noter que les 250 lb GP Bomb AN-M57 visibles sur cette photo ne furent pas utilisées lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944). (Coll. U.S. Air Force).
Un « flight » de six Douglas A-20J et G Havoc du 416th Bombardment Group larguant ses bombes 500 lb GP Bomb AN-M64. (Coll. C. Sgamboti).
Le même « flight » un instant plus tard. Pour larguer ses bombes, le pilote pouvait choisir entre un largage complet ou un largage individuel (« individual release »), permettant de libérer indépendamment les bombes situées à l’avant de la soute de celles placées à l’arrière. Une fois le(s) bouton(s) de commande sélectionné(s), il suffisait au pilote d’appuyer sur un bouton poussoir situé à l’arrière-droit du manche pour déclencher le largage selon le mode choisi. (Coll. C. Sgamboti).
Bombe américaine de type 500 lb GP Bomb AN-M64 découverte le 19 juin 2014 sur le chantier de la résidence du Val Fleury, à quelques pas de l’ancienne gare de Domfront. Il s’agit de la troisième retrouvée depuis le début des travaux. Le centre de déminage de Caen est intervenu pour procéder à son désamorçage. (Photo Le Publicateur Libre).
Un autre rapport relatif aux bombardements de la mission n° 78 du 15 juin à Domfront a également été rédigé le 16 juin par le Captain Schenkein, puis transmis au IX Bomber Command. Présenté en Annexe A de l’« Operational Report », ce document se divise en six volets, correspondant chacun à l’un des trois « flights » des deux « boxes ».
« Bombing Information Report »,
Box I, Flight I,
(26 bombes, mention « excellent »),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Bombing Information Report »,
Box I, Flight II,
(30 bombes, mention « bon »).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Bombing Information Report »,
Box I, Flight III,
(25 bombes, mention « excellent »).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Bombing Information Report »,
Box II, Flight I,
(27 bombes, mention « correct »).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Bombing Information Report »,
Box II, Flight II,
(23 bombes, mention « correct »).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« Bombing Information Report »,
Box II, Flight III,
(32 bombes, mention « correct »).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Outre la date de la mission, le groupe de bombardement mobilisé et la cible attaquée – une fois encore mentionnée à tort comme un dépôt de munitions à Domfront, alors qu’il s’agissait d’un dépôt de carburant –, ce rapport indique tout d’abord :
 1/ la méthode de visée employée (le viseur D-8 ayant été utilisé avec des données prédéfinies correctement enregistrées) ;
 2/ l’approche de la cible suivie par les bombardiers, mentionnée en degré magnétique. (Venant de l’ouest et passant par le secteur de Mortain et de Saint-Georges-de-Rouelley, la formation de bombardiers amorça un virage après Saint-Gilles-des-Marais, puis mit le cap plein nord en direction du Quartier Notre-Dame, qu’elle atteignit depuis le sud. Avec le soleil dans le dos, elle bénéficiait ainsi d’une protection supplémentaire pour aborder la cible dans de meilleures conditions et surprendre d’éventuels artilleurs de DCA, tout éblouis).

Ce rapport précise également :
 3/ si le système de visée au mercure, destiné à corriger l’inclinaison des avions, a été utilisé (ce qui ne fut pas le cas) ;
 4/ si les avions du « flight » ont bien suivi le bombardier-navigateur au moment du déclenchement du bombardement ; si les données prédéfinies sur le viseur D-8 ont été utilisées et si le point principal d’impact (abrév. MPI) a servi de point de visée (« aiming point », abrév. AP) (ce qui fut le cas à chaque fois).

Il présente en outre :
 5/ le nom et le grade du pilote leader du « flight » ;
 6/ le nom et le grade de son bombardier-navigateur.

Il signale aussi :
 7/ qu’aucun intervallomètre, servant à programmer des déclenchements photo à fréquence régulière, n’a été utilisé.

Il fournit des informations :
 8/ sur la vitesse du vent en altitude et au sol (exprimée en miles par heure), ainsi que sur l’altitude de largage des bombes (en pieds) ;
 9/ sur la durée du bombardement, mesurée en secondes ;
 10/ sur le nombre et le type de bombes chargées par appareil, ainsi que leur vitesse de chute (un astérisque renvoyant à une note en bas de page qui précise le nombre d’avions embarquant six bombes au lieu des quatre habituelles) ;
 11/ sur le nombre exact de bombes larguées par le « flight ».

Il permet de savoir :
 12/ a) que les conditions météorologiques ou la visibilité n’ont pas affecté l’identification de la cible et son bombardement ;
 b) qu’en dehors des conditions météorologiques et de la visibilité, aucune autre difficulté n’a été rencontrée, à l’exception de deux « flights » (le Flight II du Box I et le Flight II du Box II), dont le point de visée fut obscurci par les nuages de poussière et de fumée générés par les bombes des autres « flights ;
 c) que la défense anti-aérienne ennemie n’a pas entravé le bombardement ;
 d) que les appareils ennemis non plus.

Il demande enfin :
 e) que toutes les difficultés rencontrées lors du bombardement soient exposées. Réponse : aucune, « none » en angl. ;
 f) que soit mentionnés les dysfonctionnements, les erreurs du personnel ou tout autre facteur ayant affecté le bombardement. Réponse : « none », ce qui est surprenant puisque nous venons de présenter un rapport faisant état des problèmes techniques. Ceux-ci ont sans doute été jugés trop insignifiants pour être mentionnés, mais ils ont bel et bien été rencontrés lors de la mission ;
 g) que soit évalué le résultat du bombardement en précisant si la cible visée fut la bonne (ce qui fut le cas à chaque fois) et en classant l’efficacité de chaque « flight » selon différentes catégories, de « mauvais/manqué » (« Bad/Miss », en angl.) à « bon » (« Good »). La mention « Excellent », absente du formulaire préimprimé, fut ajoutée à la machine à écrire à deux reprises (pour le Flight I et le Flight II du Box I).

Ce « Bombing Information Report » nous apprend également que les « flights » des deux boxes n’ont pas bombardé dans l’ordre qui leur avait été assigné dans la formation, puisqu’il mentionne le fait que le Flight II du Box I bombarda en dernier (« This flight bombed last »).

Procédant à l’analyse des différents bombardements à partir des photographies aériennes prises au cours de la mission n° 78 du 15 juin 1944, le rapport suivant rédigé par le Captain Clayton W. Zesiger, Photo Intelligence Officer du 416th Photographic Services Group, nous permet de connaître l’ordre dans lequel les six « flights » de la formation procédèrent au largage de leurs bombes : « 1,3,4,6,5,2 ». Le flight I du Box I bombarda ainsi en premier ; le Flight III du Box I, en deuxième (« bombed second ») ; le Flight I du Box II, en troisième (« bombed third ») ; le Flight III du Box II, en quatrième (« bombed fourth ») ; le Flight II du Box II, en cinquième («  bombed fifth ») ; et le Flight II du Box I, en dernier (« bombed last »).
« First Phase Interpretation » (folio recto),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
« First Phase Interpretation » (folio verso),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Notons que ce rapport du Captain Zesiger confirme que le point principal d’impact (abrév. M.P.I.) de la mission n° 78 du 15 juin 1944 était bien « un dépôt de carburant à la limite sud-ouest de la gare de triage » (Fuel storage on southwest edge of marshalling yards), et non un dépôt de munitions. Il précise également que, sur les 36 appareils mobilisés pour cette mission, 35 ont attaqué, l’A-20G (43-9493, 5C-V) du 1st Lt. Smith (Box I, Flight III, position 3) n’ayant pas bombardé la cible puisque ses quatre bombes tombèrent lorsque les portes de la soute s’ouvrirent, comme en atteste l’« Aircraft Malfunction Report » présenté précédemment. Enfin, il signale que 157 bombes furent larguées, alors que ce nombre s’élevait en réalité à 163, comme l’ont établi avec plus de précision l’« Operational Report » et les « Bombing Information Reports ».

Aucun élément de ce rapport ne permet, en revanche, de comprendre pourquoi les Flights II des Boxes I et II n’ont pas bombardé dans l’ordre prévu par la formation. Qu’est-ce qui a bien pu les en empêcher ? Aucune difficulté susceptible d’avoir perturbé le bombardement de ces deux « flights » n’est signalée dans les « Bombing Information Reports ». Et aucun autre rapport relatif à la mission n° 78 du 15 juin 1944 conservé par l’AFHRA ne nous éclaire à ce sujet.

Une carte réalisée par le Captain Robert G. Bailey, Intelligence Officer du 668th Bombardment Squadron, retraçant l’itinéraire parcouru par les avions du 416th BG sur le continent, indique qu’un des « flights » dut même effectuer un second passage sur la cible avant de larguer ses bombes (« One flight of formation made second run ») et qu’il subit ensuite des tirs de DCA à l’est de Caen sur la route du retour vers l’Angleterre (nous allons y revenir). Quelle était précisément son identité ? La suite de notre enquête nous permettra d’établir qu’il s’agissait du Flight II du Box I, dont l’avion leader était l’A-20J (43-21467, F6-W) du Captain Chester R. Jackson. Or, c’est à ce « flight » qu’appartenait l’A-20G (43-9363, 5C-L) du 1st Lt. Harold D. Andrews. Nous l’avons donc interrogé sur la raison de ce second passage, mais, malheureusement, il ne s’en souvenait plus. Soixante-dix ans après, la mémoire s’efface inévitablement. Et lorsqu’aucun document ne vient la seconder pour préserver le passé de l’oubli, il devient impossible de résister à ce travail négatif du temps.
« Chart of Route Flown – Flak »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Les photographies aériennes du bombardement du 15 juin 1944, examinées après la mission par les officiers du renseignement du 416th Photographic Services Group, ont été réalisées grâce à des appareils embarqués à bord des avions. Certains de ces appareils – des Kodak K-20 portatifs – étaient utilisés manuellement par les membres d’équipage, tandis que d’autres – des Kodak K-24 automatiques – étaient fixés à l’intérieur des avions et se déclenchaient automatiquement à l’ouverture des portes des soutes à bombes.

Le rapport suivant du Captain Francis J. Cachat, Aerial Photo Officer du 416th Photographic Services Group, indique quels avions étaient équipés d’appareils photographiques lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. Il distingue les appareils portatifs (« hand camera » en angl., abrév. « HC ») de ceux montés la partie arrière du fuselage (« camera », abrév. « C »). Il consigne également pour chaque avion l’heure de décollage (« aircraft take off », abrév. « ATO ») et d’atterrissage («  landing time »), son escadrille d’origine (« squadron », abrév. « SQD » – « A » pour 668th BS, « B » pour 669th BS, « C » pour 670th BS et « D » pour 671st BS), ainsi que la dernière lettre de code de son fuselage (« aircraft letter », abrév. « A/C LTR ») et les trois dernières lettres de son numéro de série (« aircraft serial number », abrév. « A/C NO »).
« Mission Report Aircraft », Box I,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
« Mission Report Aircraft », Box II.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Un autre rapport du Captain Francis J. Cachat recense le nombre et le type d’appareils photographiques embarqués lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 – cinq K-24 et trois K-20 – ainsi que le nombre de clichés réalisés par chaque appareil. À l’aide de deux schémas représentant les deux « boxes » engagés, il indique également la position des avions équipés d’un appareil photographique au sein de leur « flight » respectif, en mentionnant leur numéro de fuselage.
« Photographic Report »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Appareil photo Graflex K-20 de l’USAAF, fabriqué en 1942, conçu pour des rouleaux de film de 4 x 5 pouces. Il est équipé d’un objectif Kodak 161 mm f/4.5 et d’un déclencheur réglable sur 1/125, 1/250 et 1/500 seconde. Lors de la mission n° 78, trois K-20 furent embarqués par les membres d’équipage. (Coll. privée, montage L. Letendre).
Appareil photo Graflex K-24 de l’USAAF, fabriqué en 1944, conçu pour des rouleaux de film de 5 x 5 pouces. Il était équipé d’un objectif Kodak Aero Ektar 178 mm f/2.5 et d’un déclencheur réglable sur 1/50, 1/400 et 1/900 seconde. Lors de la mission n° 78, cinq avions étaient dotés du K-24. (Coll. privée, montage L. Letendre).
Sur la base aérienne de Wethersfield, deux membres d’équipage de l’A-20J 43-9444, 5H-J (qui ne prit pas part à la mission n° 78 du 15 juin 1944), se préparent pour une mission de bombardement. Outre leurs bottes de vol de type A-6, on distingue au sol un appareil photo portatif Kodak K-20. (Coll. F.J. Cachat).
Vue du dessous d’un A-20 Havoc où l’on distingue : a) quatre bombes AN-M64 de 500 lb dans la soute à bombes ; b) un porte-bombe supplémentaire sous l’une des ailes de l’appareil ; c) l’ouverture dans la partie inférieure du fuselage, où est installée la mitrailleuse Browning M2 de calibre 50 (12,7 mm) du mitrailleur arrière (cette ouverture pouvant également être utilisée par ce dernier pour prendre des photographies avec un appareil portatif K-20 ou larguer des « windows ») ; d) l’emplacement du K-24 automatique monté dans l’avion. (Coll. 410th Bomb Group Association, annotations L. Letendre).
Aerial Photo Officer, le Captain Francis J. Cachat dirigeait le « Photographic Services Group » du 416th BG. (Coll. F.J. Cachat).
Aux côtés du Captain Francis J. Cachat, le Captain Clayton W. Zesiger, Photo Intelligence Officer du « Photographic Services Group » du 416th BG, procède à l’examen minutieux d’un cliché pris au cours d’une mission de bombardement. (De g. à dr. : Captains Cachat, Zesiger, Lytle et Lieutenant Koch). (Coll. F.J. Cachat).
Le mobile home du « Photographic Services Group » du 416th BG installé sur la base aérienne AAF-170 de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat).
Photographie aérienne datée du 15 juin 1944, prise depuis l’un des Havoc à l’aide d’un K-24. Notons que le cercle tracé au crayon a sans doute été ajouté par l’un des officiers du « Photographic Services Group » du 416th BG, chargé d’interpréter les clichés et d’évaluer l’efficacité des bombardements. Ce cercle entoure l’un des cratères causés par les bombes AN-M65 de 1000 lb, larguées les jours précédents par des P-47 Thunderbolt sur les installations ferroviaires (des projectiles de 500 kg, les plus lourds déversés sur Domfront). Dans l’angle du cliché (en haut à droite), on distingue également le nez d’un A-20G équipé de ses six mitrailleuses Browning M2 de calibre 50 (12,7 mm). (Coll. AFHRA).
Seconde photographie aérienne prise depuis le même « flight », quelques secondes plus tard. (Coll. F.J. Cachat).
Troisième photographie aérienne prise quasiment simultanément, sur laquelle apparaissent deux avions du Flight III du Box I. Cette image a déjà été présentée dans la première partie de cette étude, où nous avons identifié l’appareil visible à droite du cliché. Il s’agit de celui 2nd Lt. James R. Miller (pilote), du Sergeant Robert G. Schrom (mitrailleur arrière) et du Sergeant Julius Galender (mitrailleur de tourelle). Baptisé « Uncle Bob », cet avion occupait la position 6 dans le « flight ». (Coll. U.S. NARA).
Photographie de l’A-20G « Uncle Bob » (43-9951, 5C-P) prise le 16 août 1944. L’appareil était piloté par le 2nd Lt. James R. Miller, originaire du Tennessee, lors de la mission n° 78. (Les 1st Lts. William A. Merchant et Francis W. Demand, visibles sur ce cliché, ne participèrent pas à cette mission). (Coll. F.J. Cachat).
« Uncle Bob » en phase de roulage sur l’une des deux pistes d’envol de la base aérienne de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat, montage L. Letendre).
Bien qu’aucun marquage ne soit lisible sur l’appareil visible à gauche de la troisième photographie aérienne, nous pouvons néanmoins déduire, grâce à la position attribuée à chaque avion dans le Flight III du Box I, qu’il s’agit de l’A-20G (43-9393, 5C-K) du 1st Lt. Richard E. Greenley (pilote), du Staff Sergeant Howard C. Worden (mitrailleur arrière) et du Staff Sergeant Joseph J. Rzepka (mitrailleur de tourelle). Cet appareil occupait la position 4, juste derrière l’avion-leader piloté par le Captain Lloyd F. Dunn, et sur l’aile droite de celui du 1st Lt. J. R. Miller.
Schéma de la position occupée par chacun des six avions composant le Flight III du Box I lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. (Montage L. Letendre).
Quatrième photographie aérienne prise alors que l’avion du 1st Lt. Greenley survole la côte de La Raterie, où l’on peut apercevoir plusieurs cratères de bombes. Son aile gauche masque l’église Notre-Dame-sur-l’Eau et une partie de l’hôpital de Domfront. (Coll. SDASM Archives).
Des images de la mission n° 78 du 15 juin 1944 ont également été réalisées par le S/Sgt. Arthur E. Mayhew, membre d’équipage de l’A-20J 43-21711 (5C-S) piloté par le Captain Lloyd F. Dunn (Box I, Flight III, position 1). Affecté au 416th BG, le S/Sgt. Mayhew était aussi rattaché à la 4th Combat Camera Unit. Pendant la Seconde Guerre mondiale, quatorze « Combat Camera Units » (CCU) de l’U.S. Air Force ont assuré une couverture photographique et cinématographique de la guerre sur tous les théâtres d’opérations.

En mars 1944, un détachement de la 4th CCU, commandé par le 1st Lt. Glen Sutliff, fut attaché au 416th BG sur la base aérienne de Wethersfield afin de documenter les activités des Douglas A-20 Havoc. Ce détachement de la 4th CCU ne faisait pas partie du 416th Photographic Services Group, dirigé par le Cpt. Francis J. Cachat. C’est pourquoi ses rapports ne contiennent aucune mention de l’activité du S/Sgt. Mayhew ni du matériel qu’il embarqua lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 à Domfront.
Cette fois, ce sont les « Combat Photographers » qui sont pris en photo. À côté de l’A-20J baptisé « Pawhuska Princess » figurent, de g. à dr., le Sgt. Robert A. Wolber, le S/Sgt. Lane B. Kemper, le Pfc. Byron K. Allen, le S/Sgt. Arthur E. Mayhew et le 1st Lt. George E. Lindsay. Comme le Staff Sergeant Mayhew, le Private First Class Allen était affecté au 416th BG en tant que mitrailleur, mais il officiait aussi pour le compte de la 4th Combat Camera Unit. Il participa à la mission n° 78 comme membre d’équipage de l’A20J (43-21467, F6-W) du Captain Jackson, mais il n’a ni filmé, ni photographié, la tâche étant confiée ce jour-là au S/Sgt. Mayhew. Byron K. Allen trouva la mort le 5 juillet 1944 lors de la mission n° 90 du 416th BG qu’il était chargé de documenter. (Coll. Fold3).
Occupant la position de mitrailleur arrière dans l’A-20J du Cpt. Dunn, face à l’ouverture aménagée dans la partie basse du fuselage du Havoc, le S/Sgt. Mayhew réalisa – sans doute avec un K-20 – la troisième photographie aérienne présentée ci-dessus, la plus médiatisée de toutes celles prises lors de l’opération menée par le 416th BG à Domfront. Son avion, occupant la position 1 du Flight III du Box I, était situé juste devant ceux des 1st Lts. Miller (à droite sur la photo) et Greenley (à gauche). C’est lui aussi qui réalisa la quatrième photographie aérienne, moins connue mais tout aussi réussie, où l’on voit l’A-20G du 1st Lt. Greenley survolant la côte de La Raterie.

Le S/Sgt. Mayhew tourna également des images à l’aide d’une caméra Bell & Howell Eyemo 35mm modèle N, le type de caméra utilisé par les « Combat Photographers » de la 4th CCU. Ces images ont été extraites par Wayne G. Sayles du film original complet, disponible en ligne dans les archives de la NARA sous le titre Army Air Forces Combat Weekly Digest, n° 38. D’une durée de 1 minute et 11 secondes, l’extrait regroupe des séquences tournées par différents soldats de la 4th CCU lors des missions du 416th BG : la n° 76 (le 14 juin, à Saint-Hilaire-du-Harcouët), la n° 77 (le 15 juin au matin, à Lessay) et la n° 78 (le 15 juin après-midi, à Domfront). Dans la séquence dédiée à la mission n° 78 (0:42 - 1:11), on distingue les nuages de poussière et de fumée soulevés par la déflagration des bombes dans le secteur sud-ouest de la gare de Domfront, ainsi que Uncle Bob, l’A-20G du 2nd Lt. Miller, entrant dans le champ de la caméra.
Extrait du film Army Air Forces Combat Weekly Digest, n° 38 montrant les missions du 416th BG n° 76, 77 et 78 des 14 et 15 juin 1944. (Coll. U.S. NARA).
Caméra Bell & Howell Eyemo 35 mm, modèle N. Ce type de caméra 35 mm était utilisé par les « Combat Photographers » de la 4th Combat Camera Unit pour documenter les opérations de l’US Air Force. (Coll. privée, montage L. Letendre).
« Combat Photographers » de la 4th CCU. Notons la caméra Bell & Howell Eyemo 35mm, modèle N, que le 1st Lt. Ronald O’Neal tient dans ses mains. (Coll. AFHRA).
Ces vues aériennes montrent clairement la zone ciblée par les bombardiers légers du 416th BG : non pas les installations ferroviaires elles-mêmes, mais le secteur adjacent aux voies ferrées, situé au sud-ouest de la gare, où se trouvait la distillerie de Domfront, dont les réservoirs servaient aux Allemands pour stocker du carburant. La première photographie aérienne offre un rare aperçu du dégagement initial d’énergie d’une 500 lb General Purpose Bomb explosant à quelques mètres de la distillerie de Domfront.
Après guerre, au cours d’une promenade, une famille pose devant les ruines de la distillerie de Domfront. (Coll. D. Yvetot).
Autre vue, prise après la guerre, de ce qui reste de la distillerie, désormais réduite à un amas de ferraille et de béton. (Coll. D. Yvetot).
Les réservoirs de la distillerie, utilisés par les Allemands pour stocker leur carburant, sont détruits. (Coll. D. Yvetot).
Si les largages effectués par les deux premiers « flights » furent évalués comme étant « excellents » (« Excellent »), ceux des troisième, quatrième et cinquième « flights » furent jugés « corrects » (« Fair ») seulement, tandis que celui du sixième et dernier fut estimé « bon » (« Good »). Cette différence s’explique par le fait que les nuages de poussière et de fumée, provoqués par les premiers bombardements, gênèrent le travail des bombardiers-navigateurs, qui ne purent viser leur cible avec le même degré de précision.

Le rapport que nous avons présenté précédemment, rédigé par le Captain Zesiger et intitulé « First Phase Interpretation », est accompagné d’un certain nombre de photographies aériennes prises au cours de l’opération sur Domfront. La qualité de ces clichés est médiocre, car il s’agit de tirages photographiques qui eux-mêmes ont été repris en photo par le personnel du 416th Photographic Services Group afin d’être classé dans le dossier de la mission n° 78 du 15 juin 1944 (« Mission Folder n° 375 »). Ce dossier a ensuite été scanné par l’AFHRA en 2007 et publié en ligne sous le titre « Photographs and mission reports : Target fuel dump Domfront, France » (IRIS Public Record n° 00091882).

Si donc la qualité de ces clichés est médiocre comparativement aux autres photographies aériennes de la même série que nous venons de présenter, ils permettent néanmoins de visualiser les bombardements des six « flights » et de comprendre la manière dont ils ont été analysés par les officiers du 416th Photographic Services Group. Nous les présentons ci-dessous dans l’ordre des bombardements effectués par les « flights », chaque cliché étant accompagné de l’évaluation du bombardement proposée par le Captain Zesiger dans son rapport.
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box I, Flight I,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Maj. Meng.
Lt. Powell.

« Excellent » :
« Bombs blanketed target area with center of pattern being 100 ft. from desired M.P.I. Hits were scored on fuel storage and highway, probably causing considerable damage to fuel storage and obstructing highway ».

« Excellent » :
« Les bombes ont recouvert la zone cible selon une configuration centrée à 30 mètres du point principal d’impact souhaité. Des coups ont atteint le dépôt de carburant et la grande route, causant probablement des dommages considérables au dépôt de carburant et obstruant la grande route ».
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box I, Flight III,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Capt. Dunn.
Lt. Arrington.

« Excellent » :
« Bombed second. Bombs fell in excellent pattern with center of bursts 150 ft. northwest of desired M.P.I. Heavy concentration of bursts across choke point of railroad and on fuel storage adding to destruction of fuel storage and probably blocking road ».

« Excellent » :
« A bombardé en deuxième. Les bombes sont tombées dans une configuration excellente avec le centre des explosions situé à 45 mètres au nord-ouest du point principal d’impact souhaité. Forte concentration d’explosions entre le goulot d’étranglement du chemin de fer et le dépôt de carburant, ajoutant à la destruction du dépôt de carburant et bloquant probablement la route ».
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box II, Flight I (secteur ouest),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box II, Flight I (secteur est).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Capt. Hulse.
Lt. Conte.

« Fair » :
« Bombed third. Bombs fell in fields and on buildings 950 ft. northwest of desired M.P.I. ».

« Correct » :
« A bombardé en troisième. Les bombes sont tombées sur les habitations à 290 mètres au nord-ouest du point principal d’impact souhaité ».
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box II, Flight III,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Lt. Shaefer.
Lt. Burg.

« Fair » :
« Bombed fourth. Bombs fell short, center of bursts being 650 ft. from desired M.P.I. Several bursts are seen on railroad and buildings. Due to smoke from previous flights accurate assessment is impossible ».

« Correct » :
« A bombardé en quatrième. Les bombes ont manqué leur cible, le centre des explosions étant situé à 200 mètres du point principal d’impact souhaité. Plusieurs explosions sont vues sur la voie de chemin de fer et les bâtiments. En raison de la fumée des “ flights ” précédents, une évaluation précise est impossible ».
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box II, Flight II,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Capt. Huff.
Lt. Kupits.

« Fair » :
« Bombed fifth. Bombs fell 890 ft. northwest of desired M.P.I. Bursts were in fields and on buildings with a few bursts on highway ».

« Correct » :
« A bombardé en cinquième. Les bombes sont tombées sur les habitations à 270 mètres au nord-ouest du point principal d’impact souhaité. Les explosions ont eu lieu dans les champs et sur les bâtiments avec quelques explosions sur la grande route ».
« First Phase Interpretation – Photographs »,
Box I, Flight II,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Capt. Jackson.
Lt. Maltby.

« Good » :
« Bombed last. Bombs fell with center of bursts 450 ft. from desired M.P.I. Bombs fell on railroads and buildings. Due to smoke from previous flights accurate assessment is impossible ».

« Bon » :
« A bombardé en dernier. Les bombes sont tombées avec le centre des explosions situé à 140 mètres du point principal d’impact souhaité. Les bombes sont tombées sur les voies de chemin de fer et les bâtiments. En raison de la fumée des “ flights ” précédents, une évaluation précise est impossible ».
Trois autres photographies aériennes figurant dans le rapport du Captain Zesiger permettent de visualiser la zone ciblée le 15 juin 1944 à Domfront avant et après le passage des Havoc du 416th BG et d’évaluer les résultats de leur bombardement.
« First Phase Interpretation – Photographs »,
« Main Point of Impact » avant le bombardement,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
« First Phase Interpretation – Photographs »,
« Main Point of Impact » après le bombardement (secteur ouest de la gare),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
« First Phase Interpretation – Photographs »,
« Main Point of Impact » après le bombardement (secteur est de la gare).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Tout juste diplômés de la United States Military Academy de West Point, l’une des plus prestigieuses écoles militaires de l’armée américaine, ces six élèves-officiers de la « class of June 1943 » prirent part à la mission n° 78 du 15 juin 1944 à Domfront. De haut en bas et de gauche à droite : Tonnis Boukamp, William J. Green, Robert J. Rooney, Richard F. Shaefer, Daniel F. Shea et Michael Zubon. (Coll. U.S. Air Force, montage L. Letendre).
L’équipage au complet de l’avion-leader du Box II vérifie le parcours de sa mission. De g. à dr. : le Cpt. Hulse, pilote ; le S/Sgt. Stevens, mitrailleur arrière ; le 1st Lt. Conte, bombardier-navigateur, carte en main ; et le S/Sgt. Allred, mitrailleur de tourelle. (Photo R. Conte).
Le 1st Lt. Ernest L. Johnson (au centre) et les S/Sgts. William J. Donahue (à g.) et Marvin R. Brayn (à dr.), l’équipage du 670th BS occupant la position 6 dans le Flight I du Box I, posent devant la camera. Notons que l’avion à l’arrière-plan, baptisé « Boomerang », n’est pas celui que cet équipage utilisa lors de la mission n° 78 à Domfront. (Coll. F.J. Cachat).
Le « Denver Darling » (43-9380, F6-N) est l’avion qu’utilisèrent le 1st Lt. Ernest L. Johnson et son équipage lors de la mission n° 78 à Domfront. Cette photo, prise le 27 octobre 1944, montre l’appareil après avoir accompli 67 missions de bombardement (dont une manquée). Il serait intéressant de connaître le nombre exact de missions effectuées par cet avion lorsqu’il participa à la mission au-dessus de Domfront, le 15 juin 1944. (Coll. F.J. Cachat).
Le Staff Sergeant Harry T. Best (à droite) était mitrailleur arrière et occupait la position 2 dans le Flight II du Box I lors de la mission n° 78, juste devant l’appareil du 1st Lt. Andrews (position 5). On remarque l’inscription Sharkbait (« appât à requin ») sur son gilet de sauvetage, la fameuse « Mae West ». Les deux aviateurs à ses côtés restent à identifier. (Coll. F.J. Cachat).
Le Staff Sergeant Russel J. Colosimo, mitrailleur arrière de l’A-20G 43-9743, 2A-W (Box II, Flight II, position 4), photographié le 28 avril 1944 sur la base aérienne de Wethersfield. (Coll. F.J. Cachat).
Après avoir largué leurs bombes, les appareils continuèrent leur route vers le nord quelques secondes puis, après avoir survolé la haute ville de Domfront, mirent le cap sur Falaise, puis sur Cabourg, sans rencontrer d’avions ennemis.

Huit miles à l’est de Caen (soit environ 13 km), certains appareils subirent des tirs de batteries anti-aériennes allemandes. Dans l’interrogatoire auquel les officiers du renseignement soumettent les pilotes immédiatement après leur retour de mission, les 1st Lts. F. W. Henderson et H. D. Andrews témoignent que, sur la route du retour (« Route out »), leurs avions – l’A-20G 43-9714 (5C-N) et l’A-20G 43-9363 (5C-L), tous deux appartenant au Flight II du Box I – ont été la cible de l’artillerie anti-aérienne allemande, aussi bien lourde que légère, dans le secteur de Caen. Dans la fiche d’interrogation du 1st Lt. Andrews (présentée ci-dessous), l’Intelligence Officer du 668th Bombardment Squadron, le Captain Robert G. Bailey, note : « XHA also XLA Caen ». Et dans celle du 1st Lt. Henderson, il note : « XHA Caen area » – le signe X symbolisant l’artillerie anti-aérienne, tandis que les lettres H et L, abréviations de « heavy » et « light », permettent de distinguer l’artillerie anti-aérienne lourde et légère.
« Interrogation Form », A-20G 43-9363 (5C-L),
pilote 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. (folio recto),
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
« Interrogation Form », A-20G 43-9363 (5C-L),
pilote 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. (folio verso).
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
Ces tirs de Flak provenaient du secteur de Colombelles. Ils furent inefficaces, et les vingt explosions qu’ils provoquèrent (« XHL 20 bursts », note le Captain Robert G. Bailey sur la carte intitulée « Chart of Route Flown – Flak », que nous avons présentée précédemment et que nous allons maintenant réexaminer) n’infligèrent que des dommages mineurs à l’un des appareils (dommages classés « Cat.[egory] A. »).

Cet appareil nous est connu grâce à un schéma dessiné sur la carte du Captain Bailey. Le Flight II du Box I ayant été le seul à avoir essuyé des tirs de Flak lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944 (« Five flights reported nil Flak », « Cinq “ flights ” n’ont signalé aucune Flak » ; « Damage : single flight », « Dommage : un seul “ flight ” »), ce schéma indique la position de l’avion touché dans ce « flight » : la cinquième, occupée par l’A-20G 43-9363 (5C-L) et son équipage, le 1st Lt. H. D. Andrews, Jr., ainsi que les S/Sgts. G. M. Cook et E. R. Werley.

C’est donc l’appareil de notre cher First Lieutenant Andrews qui fut touché par la Flak lors de la mission n° 78 du 416th BG. Comme tous les pilotes du Flight II du Box I, il dut effectuer un second passage sur la cible à Domfront, reléguant ainsi son « flight » en dernière position dans la formation pour le retour vers l’Angleterre. Ces quelques minutes de retard par rapport aux avions de tête ont peut-être laissé aux artilleurs allemands le temps de réagir au passage de la formation et d’ouvrir le feu sur les derniers appareils. Fort heureusement, ces tirs n’eurent aucune conséquence ni pour les pilotes ni pour le bon déroulement de l’opération.

Parvenus tous sains et saufs au-dessus de la Manche, à 18h36 pour les premiers d’entre eux, les pilotes durent utiliser leurs deux réservoirs d’essence supplémentaires montés dans la soute à bombes pour couvrir la distance totale de la mission (547 miles, soit 880 km) et rejoindre ainsi la base aérienne de Wethersfield, le réservoir principal n’offrant qu’une autonomie de 400 miles (645 km).

Le rapport suivant, rédigé par le Colonel Mace, Commanding Officer du 416th BG (L), et adressé au Colonel Backus, Commanding Officer du 97th CBW (L), détaille la consommation de carburant (en gallons) et les temps de vol de chaque avion lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944.
« Fuel Consumption Data »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Comme l’indique le rapport du Staff Weather Officer du 416th BG présenté précédemment, les avions rencontrèrent une importante couverture d’altocumulus et de stratocumulus entre 4 000 et 6 000 pieds d’altitude dans le sud de l’Angleterre et ne bénéficièrent que d’une visibilité réduite, de 3 à 4 miles, au-dessus de Londres. Le premier Havoc à atterrir fut celui du Major Meng, à 19h30 exactement. Celui de notre cher First Lieutenant Andrews, seul appareil à avoir été endommagé lors de la mission par des tirs de Flak, se posa en dernier, à 20h01 précisément. Mission accomplie. Tous les oiseaux étaient rentrés au nid.

Le rapport suivant, rédigé par le Captain Bailey, consigne le plan de vol du Major William J. Meng, leader de la formation mobilisée lors de la mission n° 78 du 15 juin 1944. Il fournit, entre autres renseignements, les horaires précis auxquels son A-20J (43-9439, F6-J) (Box I, Flight I, position 1) a franchi les différentes étapes du vol effectué ce jour-là par les bombardiers légers du 416th BG.
« Flight Plan », A-20J 43-9439 (F6-J),
pilote Major William J. Meng,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive).
De retour sain et sauf à la base à 19h44, le 1st Lt. Ralph Conte, bombardier-navigateur de l’avion-leader du Box II, survécut à la guerre. Il est décédé le 1er avril 2016 à l’âge de 98 ans et repose désormais au Veterans Cemetery de Jacksonville, en Floride. (Coll. 416th Bomb Group Archive, montage L. Letendre).
Une fois au sol, les équipages furent directement conduits dans les locaux du « Group S-2 » pour débriefer la mission avec les officiers du renseignement et ceux du « Group Headquarter » du 416th BG. L’« Interrogation Form », présenté ci-dessus, nous montre la fiche que les officiers du renseignement devaient systématiquement remplir après chaque mission des Havoc.

On relèvera que, dans la rubrique « Observations », la fiche du 1st Lt. Andrews, complétée par le Cpt. Bailey, mentionne, à l’aide d’une coche, que son avion a subi des dommages à cause de la Flak : « Damage to a/c : Flak ✓ ». Elle indique également que notre pilote a rencontré entre six et huit P-47 Thunderbolt, ainsi que d’autres types d’avion près de la côte (sans préciser s’il s’agit de la côte française ou anglaise) ; qu’il a vu dans les bois (la localisation exacte, référencée sur la carte alors utilisée, étant spécifiée) des emplacements de canon à 18h27 ; huit blindés, ainsi que d’autres véhicules, à 18h30 ; et qu’il a également aperçu des camions semi-remorque à Saint-Sever. Notons que cette rubrique « Observations » est souvent celle qui est la plus renseignée dans la fiche d’interrogation, tant les informations données par les pilotes peuvent s’avérer utiles pour l’état-major.
Photographie prise le 5 août 1944 sur la base aérienne de Wethersfield montrant des officiers du renseignement du « Group S-2 » du 416th BG, commandé par le Major William P. Thomas. (Coll. F.J. Cachat).
Officier du « Group Headquarter » du 416th BG, le 1st Lt. John M. Bonura a rédigé l’« Operational Priority Report » de la mission n° 78 du 15 juin 1944 présenté précédemment. (Coll. F.J. Cachat).
De leur côté, les mécaniciens et les armuriers s’affairèrent immédiatement sur les appareils afin de les préparer pour une nouvelle mission.
Le 10 juillet 1944, sur une aire de stationnement de la base aérienne de Wethersfield, les mécaniciens et armuriers du 416th BG préparent un A-20G du 671st Bombardment Squadron pour une nouvelle mission. (À noter que cet avion immatriculé 43-9956, 5C-Z, ne prit pas part à la mission n° 78 du 15 juin 1944). (Coll. F.J. Cachat).
Un rapport rédigé par le Captain Jack B. Cooney, Communications Officer du 416th BG (abrév. « COBOMGR 416 »), et transmis au Communications Officer du 97th Combat Bombardment Wing (« COCBTBWIG 97th ») ainsi qu’au Signal Corps (« ATT[achement] : SIG[nal] C[orps] »), rend compte de l’état des équipements de radiocommunication embarqués à bord des avions et de leur fonctionnement durant la mission.
« Communication Report »,
416th Bombardment Group (L),
mission n° 78, 15 juin 1944, Domfront.
(AFHRA/416th Bomb Group Archive)
.
Ce rapport nous apprend que sur les 38 appareils mobilisés, deux rencontrèrent des problèmes. L’interphone de l’A-20G du 1st Lt. William J. Green (Box I, Flight I, position 4) utilisé par le pilote pour communiquer avec son mitrailleur de tourelle étant hors de fonctionnement (« out »), le câblage a été vérifié et réparé. Sur l’A-20G du 1st Lt. Eldon B. Kreh (Box II, Flight III, position 2), l’interphone du mitrailleur arrière s’étant avéré faible (« weak »), il a également été vérifié. Hormis ces deux problèmes, la performance-radio des avions au cours de la mission fut jugée bonne par le Captain Cooney (« Good radio performance »).

Pas de victime civile à déplorer ; aucune perte humaine ni matérielle enregistrée par l’U.S. Air Force (seul l’avion du 1st Lt. Andrews subissant des dommages mineurs) ; des dysfonctionnements dans le largage des bombes, certes, mais des résultats obtenus excellents pour certains « flights » ; les derniers dépôts de carburant enfin détruits – nous pouvons affirmer que cette mission n° 78 des Havoc du 416th Bombardment Group (L) sur Domfront le jeudi 15 juin 1944 fut un grand succès et nous nous devons de rendre ici un hommage respectueux au courage exceptionnel des 120 membres d’équipage qui l’ont accomplie au péril de leur vie.
Les pilotes du Flight II du Box II au complet
Portrait de Meredith Joy Huff (alors Second Lieutenant) portant son uniforme avec les ailes de pilote de l’U.S. Air Force, probablement réalisé autour du 4 janvier 1943, date de la cérémonie de remise de son brevet de pilote. Le 15 juin 1944, le Captain Huff était au commande de l’avion-leader du Flight II du Box II, l’A-20J 43-9450 (2A-S). (Coll. A. et R. Hohn).
Le 1st Lt. Joseph Kupits (2nd en partant de la g.), bombardier-navigateur de l’avion-leader du Flight II du Box II, pose devant l’A-20J 43-9450 (2A-S) baptisé « Holy Joe » et piloté le 15 juin 1944 par le Cpt. Huff (3ème en partant de la g.). (Les S/Sgts. Grady F. Cope et James Thompson, mitrailleurs, respectivement 1er et 4ème en partant de la g., ne participèrent pas à la mission n° 78 du 15 juin 1944). (Coll. F.J. Cachat).
Le 1st Lt. Norman V. Shainberg (1er en partant de la g.), pilote de l’A-20G 43-9390 (2A-G) et adjoint du Cpt. Huff, occupait la position 2 du Flight II du Box II. Il pose ici avec le 1st Lt. Tonnis Boukamp, pilote de l’A-20G 43-9743 (2A-W) occupant la position 4 du Flight II du Box II. (3ème en partant de la g., le 1st Lt. Norman S. Peck ne prit pas part à la mission n° 78). (Coll. A. et R. Hohn).
Sur ce cliché de qualité moyenne pris sur la base aérienne de Wethersfield figurent les trois derniers pilotes du Flight II du Box II : le 1st Lt. Earl E. Hayter (A-20G 43-9717, 2A-N, position 3), le 1st Lt. Jack F. Smith (A-20G 43-9189, 2A-P, position 5) et le 1st Lt. Hiram B. Clarke (A-20G 43-9961, 2A-E, position 6), respectivement 5ème, 3ème et 2nd en partant de la g. (Les 1st Lts William F. Jr. Tripp et Leo E. Poundstone, 1er et 4ème en partant de la g., n’étaient pas présents lors de la mission n° 78). (Coll. A. et R. Hohn).
***
Rencontre avec le 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr.
Le dimanche de la Pentecôte 1944 marqua le début des opérations aériennes alliées sur la ville de Domfront. Le dimanche de la Pentecôte 2014 fut placé sous le signe du souvenir de ces événements. Par une singulière analogie de date, c’est en effet le dimanche 8 juin 2014 que nous avons rencontré, à Domfront, le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr., pilote au sein du 671st Bombardment Squadron, qui accomplit sa 35e mission aux commandes de son Douglas A-20G Havoc le 15 juin 1944 dans le ciel de la cité médiévale et qui, présent aux cérémonies du 70e anniversaire du 6 juin 1944, nous fit l’honneur et le plaisir d’accepter notre invitation.

Né à Auburn, dans l’État du Maine, le 30 décembre 1922 et vivant actuellement à McDonough, près d’Atlanta, capitale de la Georgie, Harold Dave Andrews Jr. obtint son brevet de pilote de l’U.S. Air Force le 25 mars 1943 avec le grade de Second Lieutenant et fut promu First Lieutenant le 22 mai 1944. Du 7 mars 1944, jour de sa première mission de combat au-dessus de l’aérodrome de Conches-en-Ouches (mission avortée du fait d’un rendez-vous manqué avec la chasse alliée chargée de protéger les bombardiers légers) au 2 décembre 1944, lorsqu’il effectua sa dernière mission à Saarlautern en Allemagne (où il appuya l’avancée des troupes au sol du Lieutenant General Patton et vit son avion gravement endommagé par la Flak allemande), il acheva ses 65 missions réglementaires et put rentrer aux États-Unis.

Ce « Combat Tour » complet effectué uniquement sur le théâtre d’opérations européen – qu’il quitta définitivement le 16 décembre 1944, dans la nuit précédant le déclenchement de la bataille des Ardennes – lui valut de nombreuses décorations. Son portrait, pris à Domfront le 8 juin 2014, nous permet de découvrir la « veste de sortie » d’un officier de l’U.S. Air Force (avec pantalon, chemise moutarde et cravate beige complétant l’« Officer Service Dress Uniform » réglementaire) et d’examiner les distinctions honorifiques qui lui furent attribuées pour récompenser ses mérites.
Portrait du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr., pris dans le parc du château de Domfront, le dimanche 8 juin 2014. (Photo L. Letendre).
Légendes du portrait du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. et présentation de ses décorations militaires. (Document L. Letendre).
« Individual Flight Record » du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. consignant les heures de vol réalisées au cours des missions menées lors du mois de juin 1944. (Coll. L. Letendre).
« Individual Combat Record » du 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. consignant les missions réalisées du 22 mai au 24 juin 1944. (Coll. L. Letendre).
Tableau réalisé par Harold D. Andrews, Jr. consignant ses 65 missions et leurs correspondances avec celles du 416th BG. (Coll. L. Letendre).
Cette rencontre fut un moment unique d’échange et de partage. L’accueil réservé par les Domfrontais, à la fois surpris et fascinés par la présence de notre pilote, fut spontané et chaleureux. Nous leur adressons nos sincères remerciements pour ce moment de convivialité.

Soixante-dix ans plus tard, dans le parc du château de Domfront, du haut de la Tour de Presle dominant tout le Quartier-Notre-Dame, notre First Lieutenant – qui, le mardi 6 juin 1944, participa aux opérations aériennes du débarquement en bombardant, à 21h25, avec 33 autres avions du 416th BG, la gare de Serqueux, située à 39 km au nord de Rouen – reconnut en un instant le secteur pris pour cible le 15 juin 1944. S’il se déclara ravi, selon ses propres mots, de revenir sur le lieu de ses exploits, pour nous, ce fut sans conteste le plus beau jour de notre vie d’historien militaire amateur.
Le First Lieutenant Harold D. Andrews, Jr. posant Place de la Roirie, devant la mairie de Domfront, lors de sa visite du dimanche 8 juin 2014. (Photo L. Letendre).
Les soldats américains continuent toujours d’exercer une grande fascination. Notons la présence d’une trace de rouge à lèvres laissée par une admiratrice sur la joue droite de notre cher pilote. (Photo L. Letendre).
Le First Lieutenant Harold D. Andrews, Jr. dans le parc Louis Blanchetière du château de Domfront, observant depuis la Tour de Presle le lieu de ses exploits. La zone cible de la mission du 15 juin 1944 se trouve exactement au-dessus de son épaule droite. (Photo L. Letendre).
70 ans plus tard, du premier coup d’œil, notre pilote identifia seul et avec précision le secteur visé le 15 juin 1944. (Photo L. Letendre).
Le First Lieutenant Harold Dave Andrews, Jr. Place Saint-Julien, devant l’église du même nom. (Photo L. Letendre).
Avec sa petite fille Stephanie, infirmière en Floride, Dave est entre de bonnes mains. (Photo L. Letendre).
Son fils David est le roi des blagues osées et intraduisibles. (Photo L. Letendre).
Mais, fort heureusement, Erwan, notre ami et collègue professeur d’anglais, mit à notre portée la finesse de ses jeux de mots. (Photo L. Letendre).
En ce dimanche 8 juin 2014, une profonde amitié est née, fêtée au fil de l’Orne autour d’un verre de poiré bien frais. (Photo D. Andrews).
Le 9 juillet 2019, dans sa 97e année, le 1st Lt. Harold D. Andrews, Jr. a rejoint les pilotes du 671st Bomb. Sq. là-haut, dans le Grand Bleu. On le voit ici aux commandes d’un A-20G baptisé « Jackie » en l’honneur de Jacquelyn Marshall, sa petite amie et future femme. (Coll. L. Letendre).
Par décret du Président de la République française en date du 30 septembre 2019, Harold D. Andrews, Jr. a été élevé à la dignité de chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. (Photo D. Andrews).
Vendredi 23 et samedi 24 juin 1944

Une reprise brutale des opérations
Après la tourmente des 13, 14 et 15 juin, Domfront connut une période de répit en raison de la forte dégradation des conditions météorologiques qui affecta tout l’ouest de la France à partir du 18 juin. Le 19, une tempête, avec des vents soufflant à une force de 7 à 8, se leva sur la Manche, emportant le port artificiel « Mulberry A » d’Omaha Beach, et dura trois jours, clouant au sol toute l’aviation alliée. Ce n’est que le 22 juin que le temps commença à s’améliorer, permettant la reprise de l’activité aérienne.

C’est ainsi que, le 23 juin au matin, Domfront fut de nouveau prit pour cible par les P-47 Thunderbolt de la 9th Air Force. Vers 11h, ils s’attaquèrent au lieu-dit du Pont-de-Caen, situé au nord de la commune, où filait la ligne de chemin de fer Laval-Caen et où la route de Flers, traversant la voie ferrée, franchissait la rivière de La Varenne en empruntant un pont. Ce croisement d’une voie ferroviaire et routière, sur l’axe de circulation entre Laval et Caen, faisait du lieu une cible toute désignée pour une opération d’interdiction. Bien qu’elle ait eu raison du pont, cette attaque des chasseurs-bombardiers manqua cependant singulièrement de précision. Des quantités de bombes explosèrent dans les champs alentours, tuant de nombreuses bêtes. Mais les engins de mort n’ôtèrent pas seulement la vie aux animaux. Ils provoquèrent également le décès de Joseph Guénerie, employé à la SNCF comme garde-barrière, qui, ayant refusé de quitter sa maison, mourut près de chez lui. Ce fut la dernière victime civile de tout le cycle des bombardements sur Domfront.
Vue du lieu-dit Le Pont-de-Caen, dans la vallée de la Varenne. Au premier plan, la barrière que les agents de la SNCF faisaient rouler sur un rail – invisible sur cette carte postale en raison de la surimpression du nom de l’éditeur et du photographe – destinée à empêcher les véhicules de franchir les voies ferrées. À gauche de la barrière, la maison de Joseph Guénerie. À droite, au niveau des personnes présentes sur ce cliché, la rivière de la Varenne et le pont emprunté par la route de Flers pour franchir le cours d’eau. (G. Hubert, Éditeur).
Comment expliquer que Joseph Guénerie n’ait pas voulu évacuer ? Lui était-il impossible de trouver un refuge dans la campagne environnante ? Très certainement pas. En effet, avec un dévouement qu’il convient de saluer, les cultivateurs firent preuve de solidarité et s’empressèrent de porter secours à ceux qui fuyaient le fracas des bombes. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, le manoir de la Guyardière, situé à peine plus d’un kilomètre du Pont-de-Caen, avait ouvert ses portes dès le début des bombardements pour accueillir la population en fuite. Était-ce alors simplement de l’inconscience de sa part ? C’est peu probable. Nul mieux qu’un cheminot ne pouvait être informé des dangers que représentait le fait de vivre à proximité du réseau ferré, cible des bombardements aériens alliés depuis des mois.

Une seule explication semble en définitive s’imposer : l’héritage de 1940 et de ses traumatismes. Bien des gens refusèrent en effet l’évacuation, même après les premières attaques, se souvenant des pillages consécutifs à l’exode de juin 1940. Plutôt que de tout abandonner derrière eux, ils choisirent de rester. C’est sans doute cette crainte du pillage, que partageaient également Sœur Jeanne et Germaine Renard à l’époque, qui poussa Joseph Guénerie à refuser l’évacuation, pourtant justifiée par les événements. Un choix qui, malheureusement, lui coûta probablement la vie.
Né le 8 mai 1887 à Champéon, dans le département de la Mayenne, Joseph Jean Clément Guénerie fut la dernière victime civile du cycle des bombardements sur Domfront. Refusa-t-il de quitter sa maison parce qu’il se souvenait des pillages consécutifs à l’exode de juin 1940 ? (Coll. J. Thierry).
Le lendemain, le dernier raid majeur du mois de juin fut lancé sur Domfront, visant la gare et ses installations. De quoi s’assurer pour la 9th Air Force, soutenue par ses P-47 Thunderbolt, qu’après plus d’une semaine d’inactivité dans le ciel de la ville, ce qui représentait plus de temps qu’il n’en fallait pour réparer les voies et rétablir un trafic normal, le fonctionnement du réseau ferroviaire restait bien entravé. Car, comme le rapporte Sœur Jeanne dans son Journal à la date du 25 juin (ces propos aidant à comprendre l’hostilité manifestée par Joseph Guénerie à l’idée d’évacuer son domicile), « tous les chemins, tous les herbages, sont remplis de gens de l’Organisation Todt. Il y en a dans les granges. Il y en a dans les cours de ferme. Ils furètent partout et chaque fois qu’ils le peuvent, ils se servent sans vergogne. La famille Roussel est aux cent coups, obligée de faire bonne garde pour sauver ses biens du pillage ». C’est donc au sein de l’Organisation Todt, chargée de mobiliser la main-d’œuvre nécessaire à la réparation des voies ferrées, que se trouvaient, aux côtés des Allemands, ceux dont les Domfrontais durent subir les méfaits – alors même qu’ils affrontaient déjà une épreuve difficile à imaginer aujourd’hui, nous qui vivons dans la paix.
Conclusion
Si l’on ajoute aux dix bombardements des mois de mai et juin que cette étude s’est attachée à décrire, certains avec force détails, d’autres de manière moins complète (le lecteur comprendra que des choix furent nécessaires), celui du 1er août 1944, lorsque, vers 9h30, des Lockheed P-38 Lightning de la 9th Air Force, s’acharnant pendant dix minutes sur leur cible, mitraillèrent et bombardèrent de nouveau la gare de Domfront, suivis, vers 17h, de De Haviland DH-98 Mosquito de la RAF qui larguèrent quelques bombes seulement sur le même objectif, c’est en tout onze bombardements sérieux que la ville de Domfront subit au cours de la bataille de Normandie. Ceux de juin furent les plus marquants, dévastant la cité jusqu’en son cœur. Des maisons ruinées ; des quartiers d’habitation totalement anéantis ; des monceaux de gravats et de débris obstruant des rues défigurées, totalement méconnaissables... Et l’horreur qui s’installe quand des civils sont frappés dans leur chair : trente-sept en tout, fauchés en un instant par la cruauté de la guerre. Quelle amertume, quelle colère durent ressentir ceux qui virent ainsi le fruit d’une vie de labeur envolé en un rien de temps et perdirent des êtres chers pour l’éternité ! Et pourtant, les habitants de Domfront témoignèrent de la gratitude à ceux qui, quelque temps plus tôt, les bombardaient, la libération permettant d’accepter ce sacrifice et apportant un peu de baume aux blessures. Cette acceptation des attaques aériennes par ceux qui y survécurent mérite tout notre respect. Il n’est pas sûr que nous réagirions ainsi sous les bombes de pays amis.

Remerciements
Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à Harold Dave Andrews, Jr., qui, comme beaucoup d’autres, est entré dans ce drame que fut la Seconde Guerre mondiale et a accepté volontiers de me faire partager son expérience de pilote à travers nos différents échanges et notre rencontre du dimanche 8 juin 2014. J’aimerais également remercier David et Stephanie, son fils et sa petite-fille, sans lesquels cette rencontre n’aurait pu avoir lieu, ainsi qu’Erwan Lévénez, qui a bien voulu me servir d’interprète, palliant ainsi les imperfections de mon expression en langue anglaise. Je voudrais aussi remercier les archives et archivistes, qui m’ont fourni la matière brute de mes recherches. Stéphane Robine, des Archives départementales de la Manche, qui m’a permis de découvrir l’erreur de navigation du 14 juin 1944, et Wayne G. Sayles, du 416th Bomb Group Archive, dont le travail de conservation et de communication s’est avéré aussi précieux que sa coopération a été chaleureuse et généreuse. J’ai une dette spéciale envers Daniel Yvetot, qui m’a confié sa retranscription du Journal de Sœur Jeanne et m’a ouvert sa collection unique de documents iconographiques, ainsi qu’envers Annette Bielec, qui m’a fait don d’une série de clichés inestimables. Toute ma reconnaissance va à Jean-Philippe Cormier, qui m’a encouragé tout au long de ces recherches, me faisant part de critiques constructives et m’ouvrant de nouvelles perspectives. À Florie Tarot, qui s’est chargée avec patience d’améliorer la qualité des images et des documents présentés. À Christian Jenvrin, qui m’a constamment assuré de son soutien. À Christèle Savary, Serge Ridard, Michel Marguerite, ainsi qu’à tous mes collègues et ami-e-s, qui ont concouru à leur manière à la réalisation de cette étude.
© 2014 L.LETENDRE
Deuxième édition revue et augmentée, août 2024.
Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.

Notes

[1Inédit, le Journal de Sœur Jeanne est conservé par la Congrégation des Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Évron, dans le département de la Mayenne.

[2Recueilli en janvier 1945 par René Herval, ce récit est publié sous le titre « Domfront : un enjeu féodal » dans La Bataille de Normandie, Récits de témoins, tome 1, Paris, Éditions Notre temps, 1947.

[3G. Renard, À Domfront sous les bombes, 24 mai-24 août 1944, Récit vécu, Paris, Éditions Jouve et Cie, 1946.

[4A. Rougeyron, Agents d’évasion, Alençon, Maison Poulet-Malassis, 1947.

[5L’Air Marshal Sir Arthur Tedder était l’adjoint britannique de Dwight D. Eisenhower, commandant en chef des forces alliées lors de l’opération « Overlord ».

[6G. Bourdin, B. Garnier, Les victimes civiles de l’Orne dans la bataille de Normandie, 1er avril-30 septembre 1944. Récit des événements et liste mémoriale, Centre de Recherche d’Histoire Quantitative, Université de Caen-CNRS, Cormelles-le-Royal, Éditions du Lys, 1994, p. 13.

[7The National Archives, AIR 37/516, « Operation Overlord » : Delay and Disorganisation of Enemy Road Mouvement.